Les sujets de philosophie 2015, série L : analyse

Voici les sujets de philosophie qui viennent de tomber ce matin, dans la série ES. Les articles sur les sujets de la série ES, et sur les sujets de la série S ont aussi été publiés. L’article sur les sujets des séries STMG-STI est en cours d’élaboration ! Je vous propose une analyse de ces sujets, notamment sur les définitions, la problématisation possible, les pistes de réflexion, ainsi que sur les « passages obligés ».
Je précise que mon propos est centré sur le contenu et n’est pas mis en forme, comme il devrait l’être dans un vrai devoir. Il ne s’agit pas de proposer de corrigés « tous faits ».

De plus, ce que je vous propose a juste une valeur indicative sur la réussite de votre travail ! Seule la lecture de votre copie pourra permettre d’en juger.

1) Respecter tout être vivant est-ce un devoir moral ?

Ce sujet croisait deux chapitres au programme : le vivant et le devoir. Il fallait donc bien tenir compte des deux notions dans votre réflexion : ne pas parler que du vivant ou que du devoir moral ! Par ailleurs, il fallait bien utiliser vos connaissances de cours, en fonction de la question posée et donc bien faire le tri entre celles qui avaient un rapport à cette question précise et les autres.

Sinon, la réussite de votre réflexion passait, comme toujours, sur l’analyse de termes du sujet. Voici quelques indications :
« devoir moral » : obligation qui est imposée à chacun, au nom de la valeur du « bien ». Mais justement faire son devoir moral revient à respecter autrui !

« respecter » : consiste à ne pas porter atteinte à l’intégrité physique et morale d’un être humain, à ne pas le traiter comme un simple objet. C’est donc se comporter en tenant compte du fait que l’autre est aussi un être humain, un individu unique, irremplaçable.

« tout être vivant » : il fallait définir ce qu’est un être vivant en général (rappeler ses critères de distinction, par rapport au non-vivant), mais aussi tenir compte du « tout » qui suppose une diversité (plante, animal, homme), mais n’admet pas d’exception.

Ainsi, le sujet part d’une affirmation paradoxale : la morale nous oblige à respecter un autre homme, mais non pas tous les êtres vivants ! Pour constituer une problématique radicale sur la question, on pouvait s’appuyer sur le devoir kantien qui nous commande de traiter autrui toujours en même temps comme une fin et jamais simplement somme un moyen.

Voici donc une problématique possible : « Y a-t-il un sens à obliger un être humain à traiter toute forme de vie, non seulement comme un moyen, mais aussi toujours en même temps comme une fin ? »
La question revient en quelque sorte à se demander si on peut respecter un être vivant comme on respecte un être humain ou si le respect a ici un autre sens (tout en restant néanmoins une forme de respect). Par exemple, peut-on considérer un animal, une plante comme un être unique, irremplaçable ? Ou bien n’a-t-on pas le droit de faire souffrir un animal, car il est, comme l’être humain, pourvu d’une sensibilité ? Mais qu’en est-il alors pour une plante ?

Il était aussi intéressant de tester comment on pouvait répondre par la négative à la question :

– non, respecter tout être vivant n’est pas un devoir moral, mais c’est autre chose. Par exemple, nous en ferions une obligation, pour notre intérêt : puisque l’homme ne peut pas survivre sans la nature, il a tout intérêt à la protéger, à ne pas la détruire, donc à respecter les formes de vies

– non, le devoir moral consiste non pas à respecter tous les êtres vivants, mais un seul, car il est particulier : l’être humain.
Vous voyez donc qu’on pouvait faire porter la négation sur deux parties différentes de la phrase !

2) Suis-je ce que mon passé a fait de moi ?

Là encore, ce sujet croisait deux chapitres au programme : la conscience (le moi) et l’existence et le temps.
La formulation de la question était riche, sur le plan stylistique :
– on pouvait remarquer l’opposition entre le présent et le passé (« suis-je » / « a fait »)
– ainsi que l’opposition entre le verbe « être » (marque un état, quelque chose de statique) et le verbe « faire » (marque une action, quelque chose de dynamique).

Une bonne réflexion sur la question reposait bien évidemment sur l’analyse des termes du sujet et notamment ici sur l’analyse de l’expression : « ce que le passé a fait de moi ». Il fallait rapidement rappeler ce qu’est le passé (sans trop s’attarder ici sur sa difficulté à le définir) : un moment du temps, qui par définition, n’existe plus et n’est donc plus « présent » que pour la conscience, sous forme de souvenirs.

Le moi renvoie à tout ce qui constitue mon identité, à ce qui me distingue des autres. Il fallait essayer d’en déterminer les critères et il semblait intéressant de jouer ici sur l’opposition que fait Bergson entre le « moi superficiel » (social) et le « moi profond ».

Ainsi, l’expression « ce que mon passé a fait de moi » suppose de rechercher de quoi est constitué mon passé : d’événements, de vécus, de réactions, de remarques faites par les autres, de ce que l’on m’a appris, ou des préjugés que l’on m’a transmis.

L’enjeu de la question était assez facile à voir : si je suis ce que mon passé a fait de moi, alors je suis prisonnier(e) d’un déterminisme : je n’ai pas la liberté de changer, si je le désire.

Ainsi, une problématique, construire sur l’enjeu de la liberté, était possible : « Comment mon essence personnelle peut-elle être déterminée par mon passé, si l’on pose que l’essence de l’homme est d’être libre ? »

A cette conception déterministe du moi, on pouvait opposer la conception de l’existentialisme : je suis ce que je fais de moi-même, par mes actions présentes !

Par contre, la thèse de la psychanalyse sur les désirs refoulés et le retour du refoulé semble plutôt aller dans le sens de cette thèse déterministe (tout en affirmant néanmoins qu’une libération est possible).

3) Texte de Tocqueville

« Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de différentes manières et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.
Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables, ou plutôt il n’y en a point qui subsistent ainsi ; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales ; et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.
Si je considère maintenant l’homme à part, je trouve que les croyances dogmatiques ne lui sont pas moins indispensables pour vivre seul que pour agir en commun avec ses semblables. »

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840).

Ce texte ne comportait pas de difficultés de compréhension majeure et était clairement construit. La seule difficulté consistait peut-être à ne pas tomber dans la paraphrase ! Mais, en y regardant de près, le texte comportait de nombreuses affirmations, qui restaient dans le vague ou en n’étaient pas suivies d’arguments.

Thèse : Les croyances dogmatiques sont indispensables à la formation, à la subsistance et à la prospérité d’une société.

Problématique : on pouvait partir de la conception négative de la croyance dogmatique (comme vérité imposée, non démontrée), qui s’oppose à la liberté de pensée de l’individu. Ainsi, on pouvait opposer l’existence de fait de ces croyances, dans toute société, à leur légitimité : « Peut-on accepter l’existence des croyances dogmatiques, dans une société, sans chercher à les éradiquer, au nom de la liberté de pensée ? »

La réponse de Tocqueville était positive : oui, il faut accepter leur existence, car elles sont indispensables, etc… (cf. la thèse plus haut)

Le plan du texte était clair :
1) Les croyances dogmatiques sont nécessaires à la formation de croyances communes chez les hommes.
2) Elle sont donc indispensables à la formation d’une société et à sa prospérité.
3) De plus, elles sont nécessaires à la vie et à l’action individuelle.

Voici quelques points qu’il était à mon sens, indispensable d’éclairer :

1ere partie :
– définir la « croyance dogmatique » : mais comme Tocqueville en donne une définition plus bas, il fallait la compléter et non simplement la paraphraser.
– expliquer les généralités qui suivent :
– – « plus ou moins nombreuses selon le temps … » : cette affirmation suppose que certaines époques sont plus sujettes aux croyances dogmatiques. Pourquoi ? Poids des dogmes religieux, manque d’éducation, régimes dictatoriaux, etc.
– – « naissent de manières différentes » : comment ? Par l’éducation, l’imitation, parce qu’elles sont imposées par des autorités (comme l’Etat ou l’Eglise) ?
– – « changent de forme et d’objet » : les croyances dogmatiques peuvent prendre comme objet des faits démontrables (ex : conflit entre la science et l’Eglise sur la question de la fixité de la Terre ou de sa rotation autour du soleil) ou des affirmations non démontrables (question de l’existence de Dieu). Elles existent aussi dans le domaine politique.
Elles prennent des formes différentes : proverbes populaires ou « vérités » scientifiques.

Il fallait bien ensuite marquer le balancement produit par le « mais » : même si les croyances dogmatiques sont variables, elles ne peuvent pas ne pas exister ! Il est donc impossible de les éradiquer et cela n’est même pas souhaitable.

Ici, vous pouviez opposer le point de vue de la philosophie des Lumières (Kant : Qu’est-ce que les Lumières ?), si vous connaissiez.

L’image de l’homme seul, qui recherche dans son coin la vérité, pouvait vous faire penser à Descartes ou à Socrate.

2e partie :

Vous pouviez expliquer la distinction entre « prospérer » et « subsister ». Le verbe « prospérer » marque l’idée d’un progrès, mais qui serait plutôt matériel, qui se fait sur le plan de richesses.

Il fallait ensuite être sensible à l’enchaînement : idées communes / actions communes / corps social.
Donc :
– expliquer pourquoi les actions communes ont besoin des idées communes;
– expliquer pourquoi les actions communes sont indispensables à la formation du corps social.

Il était bienvenu aussi de faire une remarque sur la notion de « corps social » : un tout composé de parties unies entre elles, dans le but de remplir une fonction, au service de ce tout.

Or, justement, pour Tocqueville, ce qui fait le lien entre les individus, ce sont les croyances dogmatiques. Mais ici, on pouvait amorcer deux critiques :
– est-ce le seul lien possible ?
– est-il le meilleur ou même s’il est le plus efficace, n’est-il pas dangereux ? (cf. le cas des dictatures)

Ce qui est original, dans la réflexion de Tocqueville, c’est que ces dogmes ne sont pas inculqués aux individus de manière passive, mais qu’ils vont eux-mêmes les chercher et y consentent ! On pouvait alors se demander comment.

3e partie :

La dernière idée du texte est plus étrange : en quoi les croyances dogmatiques sont-elles indispensables à la vie individuelle ? Et tout d’abord que signifie le fait de prendre l’individu à part : est-il isolé de la société ? Ou bien, est-ce dans les moments où il agit seul, sans coopérer avec les autres ?

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