Les sujets de philosophie 2015, série ES : analyse

Voici les sujets de philosophie qui viennent de tomber hier matin, dans la série ES. Les articles sur les sujets de la série L, et sur les sujets de la série S ont aussi été publiés. L’article sur les sujets des séries STMG-STI est en cours d’élaboration ! Je vous propose une analyse de ces sujets, notamment sur les définitions, la problématisation possible, les pistes de réflexion, ainsi que sur les « passages obligés ».

Je précise que mon propos est centré sur le contenu et n’est pas mis en forme, comme il devrait l’être dans un vrai devoir. Il ne s’agit pas de proposer de corrigés « tous faits ».

De plus, ce que je vous propose a juste une valeur indicative sur la réussite de votre travail ! Seule la lecture de votre copie pourra permettre d’en juger.

1) La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?

Cette question était très riche au niveau des termes qu’elle contenait : aussi fallait-il bien en tenir compte !

– « La conscience de l’individu » : l’expression précise « de l’individu », car on pourrait penser à la conscience collective (qu’il serait plus évident de réduire à un reflet de la société);

– « le reflet de la société à laquelle il appartient » : la précision « à laquelle il appartient » différencie cette société des autres.

– « ne … que » : il fallait bien tenir compte du sens de cet adverbe. La question suppose que la conscience de l’individu est bien un reflet de la société à laquelle il appartient, mais nous demande de savoir si elle se réduit à cela.

En général, ce genre de question (ne … que … ?) invite à aller considérer de près la réponse par la négative. Or, comme la question est assez composée, la négation peut porter sur différents termes :
– non, elle n’est pas que le reflet de la société, etc…, mais elle correspond aussi au moi profond de l’individu. Cette idée ressemble à la thèse de Bergson qui parle d’un moi superficiel (social) et d’un moi profond.
– non, elle n’est pas que le reflet de la société, à laquelle il appartient. Ici, je fais porter la négation sur la fin de la question : autrement dit, je considère l’hypothèse selon laquelle la conscience serait le reflet d’autres sociétés (que celle où vit l’individu).

Les termes précédents devaient bien sûr être définis. Pour « société » et « conscience », je vous renvoie à votre cours. Il fallait aussi se demander ce qu’est un reflet de quelque chose et définir aussi le terme « individu »

reflet de quelque chose : Ce n’est pas la chose elle-même, mais ce qui lui correspond, de manière plus ou moins déformée. De plus, un reflet n’a pas une véritable existence. Ainsi, si la conscience n’est que le reflet de la société, elle n’a pas d’autonomie (ce qu’elle contient vient de la société et en est comme l’image) et elle n’a pas d’existence propre, comme faculté.

– individu : signifie, au sens premier, « ce qui ne peut être divisé ». En effet, l’être humain forme un tout, tant sur le plan biologique (son corps), que sur le plan psychique (différentes idées se succèdent dans sa conscience, mais il reste « le même », il garde sa propre identité).

Problématisation de la question

Les présupposés de la questions sont justes, car il est vrai que notre conscience est influencée par la société (qui véhicule des idées, des désirs, des valeurs, des représentations du monde, etc). Cependant, un paradoxe pouvait être trouvé entre « conscience de l’individu » et « reflet de la société ». En effet, comment les individus peuvent-ils chacun avoir une identité propre, si leur conscience n’est que le reflet de la même société, à laquelle ils appartiennent ?

Mais la résolution de cette problématique pouvait jouer sur une subtilité : nous avons vu que le terme « reflet » renvoie l’image d’une chose, mais qui est modifiée, par rapport à cette chose. Ainsi, c’est peut-être l’individu lui-même, qui par son identité propre, crée le reflet, au lieu d’en être le simple récepteur !

2) L’artiste donne-t-il quelque chose à comprendre ?

Cette question contient le mot indéfini « quelque chose » : il fallait donc préciser de quoi il peut s’agir. De plus, elle semble inachevée : on est tenté de la poursuivre par la précision : « dans son oeuvre d’art ». Mais, d’autres possibilités étaient envisageables. En effet, l’artiste peut aussi donner quelque chose à comprendre, par son mode de vie en général, ou par son engagement en dehors de l’art.

Ainsi, une manière « classique » de traiter la question consistait à réduire le champ de réflexion à l’oeuvre d’art. Mais, une façon plus originale consistait à ouvrir le plus possible ce champ.

Il fallait bien entendu définir les termes du sujet et préciser notamment ce qu’est un artiste, sans vous contenter de dire que c’est celui qui crée des oeuvres d’art ! Mais, il fallait justement indiquer quelles sont les caractéristiques de cette dernière. Et puisqu’il s’agit de l’artiste, il fallait également réfléchir sur sa façon de créer.

L’expression « donner à comprendre quelque chose » devait être également élucidée : il s’agit d’une action volontaire, intentionnelle (or, dans le cas de l’artiste, cela pouvait être contestable). Ensuite, le verbe « comprendre » était riche de sens. Pour son analyse, je vous renvoie à l’article traitant du sujet : « Peut-on vraiment comprendre autrui ? », dans mon article sur les Sujets du Bac 2015, dans les centres étrangers. La réflexion pouvait jouer sur les trois sens différents de ce terme.

Enfin l’expression devait être précisée :
– donner à comprendre, mais à qui ? Au public, aux autres artistes ?
– quelque chose, mais quoi ? Autrement dit, à propos de quoi l’artiste veut-il nous faire comprendre quelque chose ? Sur le sens de la vie ? sur ses propres sentiments, idées, valeurs ? sur les « injustices » de la société ? Les possibilités étaient nombreuses !

Problématisation du sujet : là aussi, il n’y avait pas qu’une possibilité. Une approche intéressante, me semble-t-il, est d’insister sur le verbe « donner à », dont j’ai remarqué qu’il supposait une intention. Cette intention est-elle réelle ou la compréhension du sens de l’oeuvre n’est-elle qu’une construction du public ?

D’autres questions pouvaient être proposées (soit comme problématiques principales, soit comme sous-problématiques, permettant de constituer le cheminement de la réflexion) : ce que donne l’artiste à comprendre est-il aussi ce qui est compris par le public ? Si l’art est la représentation de la beauté, en quoi l’artiste aurait-il l’intention de s’adresser à d’autres facultés en nous que celle du goût esthétique ?

3) Texte de Spinoza

« Dans un Etat démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir ; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit. Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. »

Baruch Spinoza : Traité théologico-politique (1670)

Ce texte ne comportait pas de difficulté majeure de compréhension, dans sa globalité et la progression de la réflexion était clairement visible :

1) »Dans un état … aisément » : Les ordres donnés par le souverain, dans un régime démocratique ne peuvent pas être absurdes, de par la nature même de ce régime.
2) « Au seul … son fondement » : Par conséquent, il appartient au souverain d’établir ce qui est le droit et aux citoyens d’obéir. Or, pour certains cette conception fait du citoyen un esclave.
3) « Cela cependant … raison » : Spinoza répond à cette objection, en précisant qu’au contraire, cette conception permet au citoyen d’agir selon sa raison (donc comme un homme libre) et non pas caprice (comme un esclave).

La problématique du texte pouvait être la suivante : dans un démocratie, le fait que le citoyen doive obéir aux lois décidées par le souverain ne fait-il pas de lui un esclave ?

La réponse de Spinoza (thèse du texte) était alors : non, car, au contraire, cela lui permet d’agir selon la raison, donc comme un homme libre.

La compréhension dans le détail du texte pouvait comporter deux difficultés :
– faire le contresens de prendre le terme « souverain », au sens courant du terme (au sens de « roi »). Or, ici, Spinoza parle du cas du régime démocratique (cf. début du texte). Le terme « souverain » signifie donc celui qui détient le pouvoir législatif, donc ici, le peuple ou du moins une grande partie (Spinoza parle d’assemblée).
– le début du texte est explicatif : on y trouve les termes « car », « à raison de ». Autrement dit, Spinoza donne lui-même des arguments à ce qu’il affirme. Par conséquent votre travail consistait à expliquer ces arguments, donc à donner des arguments aux arguments ! Ce niveau d’explication est plus difficile, mais nécessaire pour éviter de paraphraser les arguments déjà donnés dans le texte.

Pour expliquer les idées du texte il fallait répondre à des questions comme :
– qu’est-ce qu’un Etat démocratique ?
– que signifie un ordre « absurde » ?
– pourquoi Spinoza nuance-t-il son propos (« presque »)
– pourquoi une assemblé ne peut-elle pas se mettre d’accord sur une seule et même absurdité ?
– Que signifient les termes « fondement » et « fin » ?
etc… !

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