Les sujets de philosophie 2015, série S : analyse

Voici les sujets de philosophie qui viennent de tomber hier matin, dans la série S. Les articles sur les sujets de la série L, et sur les sujets de la série ES ont aussi été publiés. L’article sur les sujets des séries STMG-STI est en cours d’élaboration ! Je vous propose une analyse de ces sujets, notamment sur les définitions, la problématisation possible, les pistes de réflexion, ainsi que sur les « passages obligés ».

Je précise que mon propos est centré sur le contenu et n’est pas mis en forme, comme il devrait l’être dans un vrai devoir. Il ne s’agit pas de proposer de corrigés « tous faits ».

De plus, ce que je vous propose a juste une valeur indicative sur la réussite de votre travail ! Seule la lecture de votre copie pourra permettre d’en juger.

1) Une oeuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?

C’est une question classique sur l’oeuvre d’art, qui, sous son apparente facilité, contient une double difficulté :
– il fallait bien déterminer ce que signifie « avoir un sens », pour ne pas que votre réflexion reste dans le vague ;
– il fallait également tenir compte du « toujours » : cet adverbe orientait vers la recherche d’exceptions, mais la réflexion ne devait pas se réduire à recenser les cas, où une oeuvre d’art n’a pas de sens !

Ainsi, pour éviter ces deux pièges, il fallait :
– bien définir les termes du sujet;
– bien problématiser la question de départ.

Définitions :

– Un oeuvre d’art : il fallait rappeler les critères qui permettent de différencier une oeuvre d’art d’un autre objet. Justement, une oeuvre d’art renvoie à autre chose qu’elle : elle représente quelque chose, exprime ou signifie quelque chose. A première vue, elle a donc toujours un sens.

– « avoir un sens » : est une expression qui peut s’entendre en plusieurs sens :
– – signifier quelque chose, donc pouvoir être considéré comme un ensemble de signes et pouvoir être interprété. Ainsi, le passage d’une comète n’a pas de sens, car elle ne signifie rien, elle n’est pas un signe (d’une catastrophe, comme on le croyait jusqu’au XVIIIe siècle). De plus, le système de signes doit pouvoir être interprété, compris. Ainsi, quelqu’un qui s’exprime en langue étrangère énonce bien un ensemble de signes, mais que je ne comprends pas. Ses propos n’ont donc pas de sens pour moi.
– – avoir une finalité. Par exemple, si quelqu’un affirme que la vie n’a pas de sens, c’est qu’il considère qu’elle n’a pas de but. Mais, on pourrait lui objecter que c’est plutôt lui, qui n’arrive pas à lui donner un sens !

le verbe « avoir » : signifie que l’oeuvre d’art aurait un sens intrinsèque, déjà donné et que le spectateur devrait découvrir. Mais, en nous inspirant de l’exemple précédent (sur la vie), on pourrait dire que c’est au spectateur de donner un sens à une oeuvre d’art.

Problématisation du sujet :

Pour ne pas tomber dans le simple constat, il fallait construire la réflexion, à partir d’un ensemble de questions, comme :
– l’oeuvre , pour être oeuvre d’art, doit-elle nécessairement avoir un sens ?
– ou reste-t-elle, malgré tout, oeuvre d’art, si elle n’en a pas ?
– Et est-il possible qu’une oeuvre d’art soit réellement dépourvu de tout sens ?

Pour ce qui est de la problématique de départ (qui servirait de fil conducteur aux questions précédentes, on pouvait jouer sur le paradoxe entre « oeuvre d’art » (à savoir un « objet » qui s’affranchit de règles strictes, qui suppose une certaine liberté de l’artiste) et « toujours » (absence d’exceptions, qui indique qu’une certaine règle est respectée).

Remarque :

Pour être vraiment réussie, votre réflexion devait s’appuyer sur des exemples précis d’oeuvres d’art, pris, si possible, dans des domaines artistiques et dans des époques différents !

2) La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité ?

Cette question croisait deux notions au programme : la politique et la vérité. Il était donc indispensable de « traiter » les deux notions à égalité, dans le sujet, sans privilégier le traitement de l’une sur l’autre. De plus, il fallait éviter un piège, dans lequel il était tentant de tomber : se limiter à émettre des plaintes sur la politique, comme domaine où règne le mensonge, la mauvaise foi, la langue de bois, la corruption, etc…!

Pour respecter les deux critères précédents, il fallait (comme d’habitude !) commencer par bien analyser les termes du sujet :

– la politique : champ de réflexion, mais surtout de pratiques qui concernent le gouvernement d’une société, donc le « vivre ensemble ».

– la vérité : pouvait être pris ici au sens matériel (accord entre ce que je dis et ce qui est) et formel (cohérence logique, dans une suite d’affirmations).

– « l’exigence de vérité » : est une expression qui devait aussi être relevée : exiger, c’est ordonner qu’on nous donne ou que l’on fasse quelque chose. Mais qui exige ici ? Dans quel domaine trouve-t-on cette exigence de vérité ? (la morale, la philosophie, la science ?) Et qui pourrait bien la demander, à propos de la politique ?

– « échapper à » : signifie ne pas subir les effets de quelque chose qui est jugé plutôt négatif ou bien, dans un sens plus neutre : « faire exception à ». Ainsi, qu’est-ce qui, dans la nature de la politique, pourrait expliquer qu’elle fait exception à l’exigence de vérité, que l’on rencontre dans d’autres domaines ? Par exemple, Machiavel défendrait l’idée que le prince doit parfois mentir au peuple, s’il veut conserver son pouvoir.

Problématisation du sujet : on pouvait reprendre l’idée que la politique concerne « le vivre ensemble ». Par conséquent, ce vivre ensemble suppose que l’on dise la vérité, afin que s’établissent une confiance mutuelle et une entraide entre chacun. On voit mal alors comment la politique, qui est la garante du vivre ensemble, pourrait échapper à cette exigence de vérité.

3) Texte de Cicéron :

« Comment peut-on prévoir un événement dépourvu de toute cause ou de tout indice qui explique qu’il se produira ? Les éclipses du soleil et de la lune sont annoncées avec beaucoup d’années d’anticipation par ceux qui étudient à l’aide de calculs les mouvements des astres. De fait, ils annoncent ce que la loi naturelle réalisera. Du mouvement invariable de la lune, ils déduisent à quel moment la lune, à l’opposé du soleil, entre dans l’ombre de la terre, qui est un cône de ténèbres, de telle sorte qu’elle s’obscurcit nécessairement. Ils savent aussi quand la même lune en passant sous le soleil et en s’intercalant entre lui et la terre, cache la lumière du soleil à nos yeux, et dans quel signe chaque planète se trouvera à tout moment, quels seront le lever ou le coucher journaliers des différentes constellations. Tu vois quels sont les raisonnements effectués par ceux qui prédisent ces événements.

Ceux qui prédisent la découverte d’un trésor ou l’arrivée d’un héritage, sur quel indice se fondent-ils ? Ou bien, dans quelle loi naturelle se trouve-t-il que cela arrivera ? Et si ces faits et ceux du même genre sont soumis à pareille nécessité, quel est l’événement dont il faudra admettre qu’il arrive par accident ou par pur hasard ? En effet, rien n’est à ce point contraire à la régularité rationnelle que le hasard, au point que même un dieu ne possède pas à mes yeux le privilège de savoir ce qui se produira par hasard ou par accident. Car s’il le sait, l’événement arrivera certainement ; mais s’il se produit certainement, il n’y a plus de hasard ; or le hasard existe : par conséquent, il n’y a pas de prévision d’événements fortuits. »

Cicéron : De la divination (Ier siècle avant J.-C.)

Le texte de Cicéron était difficile à double titre :
– il traitait d’une question « abstraite » : celle du hasard ;
– il était déductif et argumentatif, ce qui augmentait la difficulté de réellement expliquer les idées, au lieu de les paraphraser.
Pour « s’en sortir », il fallait tout d’abord bien repérer le mouvement de la réflexion :
– la première phrase se rapporte à un événement qui se produit « par hasard » ; mais le reste du paragraphe enchaîne sur un exemple opposé : un événement qui est produit par des causes déterminées, donc selon des lois naturelles (éclipse du soleil). Sa prévision est donc possible.
– le deuxième paragraphe oppose le premier type d’événement à un autre : celui qui se produit par hasard (découverte d’un trésor ou arrivée d’un héritage). Le but de Cicéron, dans son questionnement et sa démarche déductive est d’établir que la prévision d’un tel événement est impossible et donc de démystifier ceux qui pratiquent la divination (cf. le titre de l’ouvrage et la remarque sur les dieux).

Une fois qu’on avait bien compris le texte dans sa globalité, encore fallait-il en donner une explication détaillée, pour ne pas tomber dans la paraphrase !
– Dans le premier paragraphe, la difficulté était de bien utiliser le long exemple que donne Cicéron. Certes, il fallait utiliser vos connaissances sur l’explication scientifique (et définir les notions de « cause » et de lois naturelles ». Mais cet exemple ne devait pas constituer un prétexte, pour vous éloigner du texte ! Ainsi, il fallait rester attentif à ce que vos explications soient toujours centrées sur le problème du texte, à savoir la prévision d’événements.

De plus, il fallait arriver à articuler l’explication de la première phrase (dont l’idée ne sera reprise que dans le §2) à celui de l’exemple. Or, l’alternative n’était pas facile à comprendre. Cicéron parle en effet d’un événement « dépourvu de toute cause ou de tout indice qui explique qu’il se produira ». Mais est-ce la même chose ? En toute rigueur non ! Ce qui pose le problème de savoir ce que signifie qu’un événement arrive « par hasard » : est-il sans cause ? (mais alors comment se produirait-il ?) ou bien manquons-nous de l’indice qui nous permette de le prévoir ?

La difficulté continuait, dans le deuxième paragraphe, avec la série de questions que se posait Cicéron. Le « en effet », qui les suit, indique que ces questions sont en fait polémiques : Cicéron attaque ceux qui prétendent pratiquer la divination. Il montre que cette pratique prétend arriver à des résultats auxquels il n’est pas possible, en réalité, d’arriver.

Les correcteurs seront ici particulièrement attentifs au fait suivant : avez-vous tenté d’expliquer cette série de questions ou êtes-vous passé sur la difficulté ?
1) Sur quel indice se fondent-ils ?
2) Ou bien, dans quelle loi naturelle se trouve-t-il que cela arrivera ?
3) Et si ces faits et ceux du même genre sont soumis à pareille nécessité, quel est l’événement dont il faudra admettre qu’il arrive par accident ou par pur hasard ?

Examinons rapidement chacune de ses questions :

La première et le deuxième reprennent l’alternative de la première phrase du texte. Un événement qui arrive par hasard n’a, selon Cicéron, pas de cause, et n’est relié aucun indice permettant de le prévoir. Or, ceux qui prétendent le prédire, doivent, pour pouvoir faire leur prédiction, soit s’appuyer sur des indices, soit trouver la cause de cet événement. Ainsi, les deux premières questions que posent Cicéron demandent :
1) de déterminer l’indice, c’est-à-dire de relever une marque, dans le cours des événements qui annonce que l’événement va se produire : mais comment trouver cet indice ? En quoi, par exemple, le passage d’une comète, dans le ciel, peut être un indice qui annonce l’arrivée d’un malheur ?
2) si l’événement se produit selon une cause, il est donc soumis à une loi naturelle (qui indique comment la cause et l’effet sont liés et selon quels paramètres). Or, il reste à trouver cette loi naturelle.

La troisième question va jusqu’au bout des présupposés des deux premières. En admettant que les événements qui se produisent « par hasard », sont en fait déterminés par des causes ou annoncés par des indices, alors – puisque le hasard existe – quels autres événements faudrait-il classer parmi ceux qui se produisent « par hasard » ? Le lecteur peut ici comprendre qu’il est impossible d’en trouver, selon Cicéron.

Ainsi, ce qui arrive par hasard est loin de la « régularité rationnelle », puisque tantôt l’événement arrive, tantôt il n’arrive pas. Par exemple, on ne découvre pas un trésor, à chaque fois que l’on creuse la terre. Or, un événement soumis à une loi naturelle, se répètera régulièrement (exemple des éclipses du soleil). On pouvait rappeler ici le principe du déterminisme qui énonce que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ».

Même les dieux, selon Cicéron ne peuvent prédire ce qui arrive par hasard : ils ne sont pas pourvu d’un don d’intuition, qui leur ferait « voir » l’avenir avant qu’il n’arrive. Ainsi, la seule manière – pour eux, comme pour les hommes – de le savoir, serait que l’événement se produise par des causes (donc de façon certaine). Mais si c’était le cas, alors l’événement ne pourrait plus être classé, parmi les événements qui se produisent « par hasard » !

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