Les sujets de philosophie tombés au bac 2015, dans les centres étrangers (2/3)

Dans ce nouvel article, je vous donne la liste – et je fais une rapide analyse – des sujets de philosophie, tombés récemment au baccalauréat 2015, dans les centres étrangers. Cette liste complète celle du premier article de la série, sur le sujet.

Si vous avez-vous-même disserté sur ces sujets, je vous rappelle que les analyses que je propose sur chacun des sujets ne constituent en rien des corrigés « types ». Il s’agit de simples analyses, qu’il était cependant pertinent de faire sur votre brouillon, pour réussir ensuite votre dissertation. Mais si vous avez fait autrement, cela ne veux pas nécessairement dire que vous avez tout raté !

Si vous passez le baccalauréat, ce Mercredi 17 juin 2015, en France, je vous invite à prendre connaissance de ces sujets. L’important n’est pas de faire des pronostics sur ce qui va tomber : ce n’est pas parce qu’un sujet sur le désir est tombé en série L à l’étranger, que « le désir » ne tombera pas en France ! Je vous conseille plutôt de sélectionner quelques sujets et de consacrer 30 minutes pour chacun, à les analyser. Consultez ensuite mes propres remarques. Cet exercice vous sera très profitable, car il vous permettra d’affûter vos réflexes d’analyse, pour Mercredi prochain !

Je consacrera le troisième article de la série aux textes (3e sujet).

Centres étrangers : Europe, Afrique

Série L

1) Les machines peuvent-elles penser ?

Ce sujet croisait les chapitres sur « la technique » et « la matière et l’esprit ».

Le sens de la question reposait sur le verbe « pouvoir ». Etant donné l’essence d’une machine, a-t-elle la capacité de penser ? Cette capacité n’est-elle pas contradictoire avec son essence même ?

Toutefois, vous remarquez que le sujet n’est pas au singulier (« la machine »), mais au pluriel (« les machines »). Ce pluriel renvoie au fait qu’il existe bien sûr un très grand nombre de machines différentes. Mais justement, peut-être que certaines, par leurs caractéristiques particulières, auraient la capacité de penser contrairement à d’autres. Ainsi, cette capacité serait plus évidente à attribuer à une machine comme un ordinateur, qu’à un autre type de machine qu’est le moulin à vent !

On pouvait donc aller plus loin encore : si actuellement aucune machine construite par l’homme n’est véritablement en mesure de penser, quelles conditions devrait remplir une machine pour pouvoir penser ?

Cette dernière question, comme toutes les autres d’ailleurs repose sur une exacte définition du verbe « penser ». En effet, une machine a la capacité de calculer (et elle le fait même beaucoup plus vite que l’homme), mais la pensée peut-elle se réduire à un simple calcul ?

De plus, il fallait ici considérer les thèses dualistes et monistes (matérialistes), pour étudier comment il était possible de répondre à la question, en partant de leurs présupposés respectifs : pour un dualiste, il semble impossible qu’une machine puisse penser, puisque seul l’esprit (de nature immatérielle) possède cette capacité. Par contre, cela semble plus plausible, pour un matérialiste, puisqu’il part du présupposé que seule la matière existe. Mais alors, quelle structure donner à la machine pour qu’elle puisse penser, car pour le matérialiste, ce n’est pas n’importe quel objet matériel qui est capable de penser, mais seulement le cerveau !

Une piste de paradoxe pour la problématique consistait, par exemple à opposer les activités courantes d’une machine (faire une suite d’opérations de façon mécanique, grâce à un mouvement, qui se transmet dans chacune de ses pièces) au fait de penser (activité de l’esprit qui consiste à produire des idées et à les enchaîner de façon rationnelle). Justement, est-ce que cet enchaînement rationnel se réduit à un enchaînement mécanique ou suppose-t-il une conscience, ainsi qu’une part de liberté, de créativité ?

2) L’interdit est-il ennemi du désir ?

Ce sujet était original, dans la mesure où il tranchait avec des sujets plus classiques, comme « Peut-on désirer l’impossible ? »

Cependant, il ne fallait pas vous contenter de l’idée souvent rabattue, selon laquelle ce qui est interdit suscite le désir, parce que l’homme aime transgresser les interdits ou parce qu’il est curieux de connaître justement ce qui lui est interdit !

Pour cela, il fallait bien définir « l’interdit » (ordre qui impose à la volonté de quelqu’un de ne pas faire quelque chose) et remarquer qu’il pouvait avoir comme source la morale ou la loi juridique. La réponse à la question était-elle la même dans les deux cas ?

Ensuite, il était bien évidemment indispensable de rappeler ce qu’était le désir (un manque psychologique) et l’opposer au besoin (un manque physiologique).

Le terme « ennemi de » peut ici paraître un peu étrange, car il n’est pas utilisé dans son registre habituel (cas de deux personnes ou de deux peuples ennemis). Est « ennemi de quelqu’un » une autre personne qui fait des actions, dans le but de neutraliser, ou même de détruire, la première. Il y a donc une intention manifeste qui dirige ces actions : celle de nuire.

Si l’on applique maintenant le terme « ennemi » à l’interdit, il faut se demander quel sens a l’affirmation : « l’interdit est l’ennemi du désir » :
– L’interdit est posé pour neutraliser les désirs, nous empêcher de les satisfaire ou même de les ressentir.

De même, que signifie l’affirmation contraire ? (« l’interdit n’est pas l’ennemi du désir.»)
– Loin de les neutraliser, il les suscite (mais cela n’est pas intentionnel)
– en empêchant de satisfaire certains désirs (dangereux pour nous ou les autres), l’interdit est notre « ami » : il nous maintient en sécurité et nous permet donc de satisfaire d’autres désirs.

Une piste de paradoxe, pour la problématique, consistait à s’étonner de l’utilisation du terme « ennemi » : la loi juridique et plus encore la morale, condamnent toute volonté de nuisance. Il semble donc paradoxal, à première vue, d’affirmer que les interdits qu’ils posent auraient pour but de nuire à nos désirs !

Série ES

1) La politique est-elle l’affaire des spécialistes ?

Cette question était, sous sa formulation anodine, difficile :
– elle met en œuvre un chapitre du programme qui correspond à une notion générale (regroupant l’Etat, la société et les échanges, la justice et le droit).
– elle contient une expression très vague : « affaire des spécialistes ».

Il fallait donc bien déterminer en quoi consiste « la politique ». Pour cela, il ne fallait pas vous contenter d’une simple vision superficielle, mais vous appuyer sur une analyse philosophique : la politique comme domaine qui a rapport à la vie de la cité en général. Cette activité concerne donc non seulement la prise du pouvoir politique, mais également sa conduite, et la prise de décision concernant le « bien » de la cité.

« Les spécialistes » est un terme qui désigne bien sûr, « les politiques » (définis comme spécialistes de la politique). Mais il était aussi plus vaste, car il ne précisait pas le domaine ! De plus, il fallait bien définir ce qu’est un spécialiste, quels sont les critères pour affirmer de quelqu’un qu’il en est un, dans un domaine : doit-il avoir des connaissances théoriques et /ou beaucoup de pratique ? Comment vérifier ses compétences ?

« L’affaire de » est un terme vague qu’il faut préciser. Quand je dis « c’est mon affaire ! », cela signifie que je m’en occupe, parce que j’ai la compétence requise et que l’autre ne l’a pas ou bien parce que cela ne le regarde pas.

Ainsi, si la politique est l’affaire de spécialistes, ce sont eux qui doivent prendre les décisions pour le bien de la cité et la gouverner.

Si ce n’est pas leur affaire, il faut alors se demander quels sont les « non-spécialistes » : est-ce le peuple en général ?

De plus, la forme de la question (« est-elle… »), qui est descriptive, ne devait surtout pas vous inviter à faire de simples constats : il fallait au contraire vous demander pourquoi la politique serait l’affaire de spécialistes ou non.

Une piste de paradoxe pour la problématique pouvait reposer sur l’opposition suivante : la politique, au sens large, concerne la vie de la cité, donc de tous. Pourquoi alors la confier aux seuls spécialistes, qui par définition, ne sont qu’une minorité ? Leurs compétence leur permet-elle réellement d’être au courant des besoins de la cité et de prendre des mesures efficaces pour résoudre des problèmes ?

2) Peut-on vraiment comprendre autrui ?

Cette question ne comportait pas de difficulté sur la compréhension de son sens. Cependant, on pouvait très vite se retrouver « à sec », si on n’avait pas au préalable réfléchi à la pluralité des sens du verbe « comprendre ». Je distingue, pour ma part, trois sens :
– saisir le sens de ce qu’autrui me dit (sens faible);
– avoir connaissance des raisons qui ont poussé autrui à faire quelque chose ; (sens plus fort);
– être moi-même d’accord avec ces raisons, avec les motivations d’autrui, parce que je partage les mêmes valeurs que lui (sens encore plus fort).

De plus, il fallait relever la nuance : « vraiment ». Le verbe « comprendre » a donc plusieurs sens, qui suivent une gradation jusqu’à « vraiment comprendre » ! Donc l’expression correspond-elle seulement au sens n°3 ? Ou bien peut-on l’appliquer au trois sens, pris dans leur radicalité ? Par exemple, pour le sens n°1 : saisir parfaitement le sens de ses propos, pour le sens n°2 : prendre connaissance de toutes les raisons.

Pour avoir de la matière à réfléchir, il me semble qu’il fallait se débrouiller pour inclure les trois sens !

L’interrogation « peut-on » renvoie bien sûr ici à la capacité psychologique (est-ce que mes propres pensées n’interfèrent pas dans ma compréhension d’autrui ?) ou même à la capacité « matérielle » (par quels moyens cette compréhension serait-elle possible ?)

Une piste pour la problématique consistait à jouer sur l’opposition entre moi et l’autre, entre l’extériorité et l’intériorité : comprendre vraiment autrui supposerait d’avoir un point de vue de l’extérieur qui serait exactement identique à l’intériorité d’autrui. Est-ce possible ?

Série S

Consultez le premier article sur le sujet.

Série STMG-STI

1) A quoi reconnaît-on une oeuvre d’art?

Cette question suivait de près le cours que vous avez pu avoir, pendant l’année (définition de l’œuvre d’art). Cependant, il ne fallait pas tomber dans le piège de la récitation de cours, mais bien repartir de la question posée et y inclure, au cours de votre réflexion, vos connaissances du cours.

Ainsi, il fallait bien tenir compte du verbe interrogateur « à quoi reconnaît-on … ? » Le verbe « reconnaître » signifie que l’on a identifié quelque chose ou quelqu’un, à l’aide de critères que l’on avait déjà dans l’esprit (par exemple, on reconnaît quelqu’un dans la rue). Cela suppose donc aussi la capacité de distinguer cette chose ou cette personne des autres.

Pour notre sujet, il fallait donc vous demander par rapport à quoi on identifie qu’un « objet » est une œuvre d’art. La réponse qui venait à l’esprit immédiatement à l’esprit était : par rapport aux objets techniques, mais aussi par rapport à des oeuvres qui se présentent comme de l’art, mais ne sont pas reconnues comme telles par tous (exemple, en particulier, de l’art contemporain).

Il ne fallait pas non plus tomber dans un autre piège, à savoir vous contenter de faire la liste des critères qui permettent selon vous d’identifier qu’un objet est une œuvre d’art !

Pour constituer une véritable réflexion, il fallait au contraire problématiser : y a-t-il des critères objectifs ? ou certains dépendent-ils des personnes ou des époques (cf. la polémique sur le statut des œuvres d’art modernes) ?

Si vous vouliez aller plus loin, vous pouviez même vous demander qui finalement décide de ces critères : est-ce le public, est-ce les critiques d’art ou bien les artistes eux-mêmes (par exemple, le génie, dans la thèse de Kant) ?

Une piste de paradoxe, pour une problématique, consistait à remarquer que les œuvres d’arts sont très diverses et que leur style change avec les époques. Or, on nous demande ici de rechercher des critères communs. Existe-t-il alors, malgré cette diversité, des critères communs à toutes les œuvres et à toutes les époques ?

2) Peut-on toujours se fier à sa raison ?

Le sujet partait d’une formulation simple, contenant l’expression courante « se fier à … ». Cependant, il fallait être attentif à chacun des termes du sujet :

– relever la présence du « toujours » : ce qui était intéressant, bien sûr, était de savoir pourquoi, dans certains cas, on ne pouvait pas se fier à sa raison.

– le terme interrogateur « peut-on » n’a pas ici le sens habituel (« capacité à… »). Mais, il demande si nous faisons le bon choix, en se fiant à notre raison, si nous ne serons pas déçus (comme lorsque nous disons à quelqu’un : « tu peux de fier à telle personne »).

– « se fier à » consiste justement à accorder sa confiance à quelqu’un. On attend de lui quelque chose et il le fait. De même, on se fie à sa voiture : elle fonctionne correctement et ne tombera pas en panne. Mais cela suppose aussi que l’autre personne pourrait avoir l’intention de nous tromper : il trahirait alors notre confiance. Cette intention est plus difficile à accorder à une machine, comme la voiture !

– la « raison » est une faculté qui nous permet de trouver la vérité (et de la distinguer de l’erreur) ou bien qui nous permet de trouver les moyens pour arriver à un but.

Ainsi, si notre raison n’est pas toujours fiable, cela signifie qu’elle peut nous induire en erreur (prendre le faux pour le vrai) et nous indiquer les mauvais moyens pour arriver à un but et donc nous faire échouer.

Ensuite, vous pouviez jouer sur l’imprécision du sujet « on » : qui désigne-t-il ? Donne-t-on le même conseil à un ingénieur et à un croyant ?

S’il est des cas où nous ne pouvons pas nous fier à notre raison, à quoi se fier alors ? Est-ce à notre intuition, à la raison des autres, à la foi ?

Une piste de paradoxe pour la problématique pouvait être le suivant : donner le conseil de nous fier à notre raison ou de nous en défier parfois, c’est supposer que notre raison serait seule responsable de ses erreurs. Or, est-ce notre raison qui se trompe ou bien est-ce nous qui l’utilisons mal ou se trompe-t-elle parce que nous l’influençons (par nos passions, par exemple ?)

Centres étrangers : Amérique du Nord

Consultez le premier article consacré au sujet.

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