Les sujets de philosophie tombés au bac 2015, dans les centres étrangers (1/3)

Si vous passez le baccalauréat, en France, Mercredi 17 juin 2015, peut-être serez-vous intéressés par les sujets sur lesquels les candidats des centres étrangers ont travaillé, ces jours-ci. De même, si vous faites partie de ces derniers, vous vous demandez sûrement si vous avez réussi ou non votre épreuve. Vous le dire, sans votre copie sous les yeux est évidemment impossible. Toutefois, je vous donne ici quelques indications sur les points importants de chaque sujet, auxquels vos correcteurs seront attentifs. Je ne vous donne pas de « corrigés types », comme le font certains sites, parce qu’en réalité, de tels corrigés n’existent pas ! En effet, vous savez comme moi qu’il y a plusieurs manières de traiter un sujet et de le réussir !

Ma liste de sujets est incomplète : j’ai analysé les sujets dont j’ai trouvé le libellé sur Internet. Pour d’autres sujets, consultez mon deuxième article.

Centres étrangers : Afrique, Europe

Série L :

Consultez le deuxième article.

Série ES :

Consultez le deuxième article.

Série STMG-STI :

Consultez le deuxième article.

Série S :

1) Le bonheur de l’humanité pourrait-il venir du progrès technique ?

Ce sujet demandait de réfléchir sur le lien entre bonheur et technique, mais d’une manière précise :
– il ne s’agit pas du bonheur de l’individu, mais du bonheur de l’humanité ;
– il ne s’agit pas de la technique, en général, mais du « progrès technique » ;
– enfin, le verbe « pouvoir » est au mode conditionnel, mode qui marque l’idée :
  – d’une action qui n’a pas encore eu lieu : sa possibilité est envisagée dans un avenir proche ou lointain,
  – d’une action qui reste très hypothétique : le conditionnel marquant le doute.
– le verbe en entier « venir de… » indique que le progrès technique serait un moyen pour parvenir au bonheur de l’humanité. Cependant, « venir de… » sous-entend que la finalité première du progrès technique n’est pas le bonheur de l’humanité, mais que, de surcroît, ce serait un effet qu’il pourrait produire.

Il vous fallait donc bien circonscrire le sujet, par des définitions très précises du « bonheur de l’humanité » et du « progrès technique ». Si la notion de « progrès technique » semble assez facile à déterminer (par un certain nombre de critères), celle de « bonheur de l’humanité » est beaucoup plus floue, puisque chacun à sa conception du bonheur ou du moins, des moyens pour y arriver.

Pour ce qui est du paradoxe, pouvant servir à problématiser le sujet, il reste assez classique : le bonheur est un état de pleine satisfaction, non seulement physique, mais surtout psychologique. Au contraire, le progrès technique semble se réduire à apporter toujours plus de biens matériels.

On pouvait trouver un paradoxe (un peu plus original pour ce sujet), dans l’opposition entre le bonheur de l’humanité (comme notion totalisante : il s’agit de tous les hommes) et les progrès techniques (dont ne profite qu’une partie de l’humanité et dont on peut se demander s’il fait même consensus parmi ceux qui en bénéficient).

2) La vérité ne peut-elle être établie que par la démonstration ?

C’est un sujet assez classique, qui est déjà tombé, dans une formulation proche.

La question demande de savoir si le seul moyen d’établir la vérité est la démonstration ou s’il y en a d’autres (il fallait évidemment souligner la présence du « ne…que »).
Pour traiter correctement ce sujet, le minimum requis était de bien définir « vérité » et « démonstration ».
Sur la notion de « vérité », la réponse à la question pouvait varier, selon que l’on considérait « la vérité matérielle » (accord entre ce que j’affirme et la réalité) et la « vérité formelle » (affirmation déduite logiquement d’autres affirmations tenues pour vraies). En effet, la vérité formelle semble reposer sur la démonstration (mis à part le statut des vérités premières qui sont nécessairement indémontrables), alors que cela est moins évident pour la vérité matérielle (peut-on vraiment démontrer mathématiquement que nous percevons un livre sur la table ?)

Il fallait également vous demander ce que signifie « établir une vérité » : ce verbe marque l’idée d’un processus. Au sens fort, il renvoie à l’idée d’un fondement solide, sur lequel repose quelque chose (ex : « s’établir dans un pays » : y rester, y demeurer).

De plus, il était pertinent de remarquer que le verbe établir n’a pas de complément : établir pour qui ? Certains champs du savoir exigent que la vérité soit établie par démonstration (comme les mathématiques), tout en reconnaissant que les axiomes (ou vérités premières) en le peuvent pas.

Si l’on vous posait la question, c’est que d’autres moyens existaient !
– les sens (pour les vérités matérielles);
– le protocole expérimental (pour les vérités matérielles)
– la foi (pour les vérités métaphysiques)
Or, le verbe « établir » garde-t-il, dans tous ces cas, le même sens que pour une vérité établie par démonstration mathématique ?

Trouver un paradoxe n’était pas chose facile, vu le sujet et sa formulation (ne…que). Un piste possible était de montrer à quelle conception réductrice de la vérité (qui ne serait plus que formelle) ont risquait d’aboutir, en répondant à la question par l’affirmative.

Centres étrangers : Amérique du Nord

Série L :

1) Une parole peut-elle être sans objet ?

C’était un sujet difficile, qui demandait des connaissances maîtrisées sur le langage. Tout d’abord, il s’agissait de bien circonscrire le sujet à la parole (et à ne pas l’élargir abusivement à la langue et au langage). De plus, le sujet disait très précisément « une » parole et non « la » parole ou même « des paroles » (comme discours organisé).

Ensuite, il fallait vous demander ce que signifiait ici l’expression « être sans objet ». Dans le langage courant, l’expression peut signifier : sans contenu ou sans raison d’être. Appliqué à la parole, si nous la définissons comme un ensemble de signes exprimés oralement, alors tout signe se rapporte normalement à un « objet » (il signifie quelque chose) et exprime une pensée.

D’où le paradoxe de la question posée : peut-on considérer comme « parole », au sens propre du terme, un son émis par la voix qui ne signifierait rien ? De même, pouvons-nous prononcer une parole, sans qu’elle ait une raison d’être, même si cette dernière n’est pas évidente à trouver ?

Pour ne pas se limiter à une réflexion unilatérale (non, il ne peut y avoir une parole sans objet), il était possible de jouer sur le double sens du terme « objet ». Il fallait non plus le prendre au sens général de contenu d’une pensée ou d’une parole, mais comme objet matériel.

Ou bien, pour en revenir à la question de la raison d’être, il s’agissait de savoir si le locuteur relie de façon consciente la parole qu’il prononce et ce à quoi elle se rapporte (exemple de l’enfant qui apprend à parler, du « fou », ou même du patient en cure psychanalytique).

2) Tout désir est-il tyrannique ?

C’est un sujet beaucoup plus classique que le premier, mais pas nécessairement plus facile à traiter ! En effet, il fallait bien repérer le « tout » et ne pas traiter du sujet : « le désir est-il tyrannique ? ». Le terme « tout » présuppose que de nombreux désirs sont tyranniques, mais demande si on peut généraliser ou s’il n’existe pas des exceptions. Ainsi, le plus important n’était pas de vous embarquer dans une litanie sur la tyrannie du désir, mais au contraire de rechercher s’il y a des désirs non tyranniques, quels sont-ils et pourquoi.

Cette recherche passait par une élucidation du sens de l’adjectif « tyrannique », qui, dans son sens premier désigne un type de régime politique et plus largement le comportement d’une personne vis-à-vis d’une autre.

Si l’on vous posait la question, c’est qu’il existe bien des désirs dont on peut se demander s’ils sont tyranniques ou plutôt libérateurs, comme par exemple, le désir de vérité, de connaissance.

Bien évidemment, il fallait également définir la notion de désir (en la distinguant du besoin), pour pouvoir montrer en quoi les désirs sont – pour la plupart – tyranniques.

De plus, j’espère que vous avez remarqué que « tyrannique » n’a pas de complément : on pouvait donc comprendre « tyrannique » pour les autres, mais aussi pour soi-même.

Pour trouver un paradoxe menant à une problématique, le plus simple était de montrer l’apparente contradiction entre l’essence du désir (comme manque psychologique revenant sans cesse) et la mise en doute qu’il soit toujours tyrannique et puisse même être libérateur.

Série ES :

1) Sommes-nous maîtres de nos désirs ?

C’est un sujet très classique, assez simple à comprendre, mais pas forcément facile à traiter. En effet, la question demande de discuter un fait (« sommes-nous maîtres….? ») et non une possibilité (« pouvons-nous être maîtres…? »). Le piège était donc d’en rester aux faits, à la simple constatation, sans chercher à comprendre ce qui pouvait l’établir.
Ainsi, il ne fallait surtout pas faire la liste des cas où nous ne sommes pas maîtres de nos désirs et des cas où nous le sommes !

Pour éviter ce piège, il était possible de jouer sur les différents sens de l’expression « être maître de », qui signifie aussi bien « être propriétaire de » que « exercer une maîtrise sur ». Ainsi, la question pouvait s’entendre : « nos désirs nous appartiennent-ils? » et « exerçons-nous une maîtrise sur eux ? ». Une réponse par la négative suggérait donc que nos désirs viennent des autres et que loin de les maîtriser c’est nous qui les subissons, qui en sommes les « esclaves ».

Ainsi, il convenait de se demander ce qui nous en rend maîtres (ou ce qui peut le faire) : est-ce par la raison que nous les maîtrisons ou par un autre moyen (par exemple opposer un désir à un autre ?)

Un paradoxe à rechercher pour une problématique était ici assez évident : le désir est un manque psychologique que nous ressentons, il suppose une certaine passivité (nous ne décidons pas de l’avoir), alors que la maîtrise demande une certaine activité, une réflexion et une prise de décision.

2) A quoi reconnaît-on qu’une théorie est scientifique ?

Ce sujet demandait une bonne maîtrise du cours, alors que paradoxalement « théorie et expérience » est un chapitre qui n’est qu’au programme des Terminales ES ! Je doute donc que beaucoup de candidats aient pris ce sujet, à moins qu’ils aient eu un cours général sur la science, pendant l’année.

La question porte sur les critères de la scientificité d’une théorie. Il fallait donc rappeler ce qu’est une théorie, mais en restant tout d’abord assez large, pour ne pas la ramener très vite à une théorie scientifique (un ensemble d’hypothèses ou de lois, qui découlent de quelques principes et qui s’appuie sur des faits). En effet, la question suppose qu’une théorie peut ne pas être scientifique !

Le piège de la question était de la considérer telle quelle, en énumérant la liste des critères, sans prendre un minimum la peine de les organiser dans une réflexion.

Il était alors judicieux (pour les plus fins) de jouer sur le « à quoi reconnaît-on…? » et même de problématiser la question sur ce point précis. Reconnaître c’est identifier, c’est avoir a priori un certain nombre de critères et c’est pouvoir constater que ces critères appartiennent ou non à la chose que l’on considère (ici une théorie)
Cependant, cette identification est-elle toujours évidente (cf. polémique sur la scientificité de la théorie psychanalytique).

Série S :

1) Le bonheur se trouve-t-il dans le repos ?

La question n’était évidemment pas à prendre au pied de la lettre, sous peine de réduire la réflexion à des platitudes : nous sommes heureux quand nous nous reposons, après avoir travaillé !

Pour bien comprendre son sens, il fallait en repérer les présupposés : être heureux, c’est être pleinement satisfait. C’est donc avoir satisfait des désirs. Ainsi, la question est de savoir si le bonheur est un état auquel on accède, après la satisfaction de désirs ou pendant. Est-il, comme on entend souvent, « le chemin » ou « le but » ?

Un paradoxe qui pouvait conduire à problématiser la question était le suivant : la notion de repos semble nous plonger dans un état de pleine satisfaction stupide (nous n’exerçons plus nos facultés physiques, ni mentales) et de toute façon de courte durée (puisque les désirs reviennent sans cesse).

2) L’art instruit-il ?

La question est courte, mais nette : l’art doit être bien sûr compris au sens de « beaux-arts » (dont il faut rappeler ce qui en fait la spécificité). De même, il faut faire attention au verbe « instruire ». Des sujets semblables ont été donnés : « l’art fait-il réfléchir ou rêver ? » par exemple. Mais, vous voyez ici que « instruire » a un sens plus limité : il s’agit de savoir si l’art nous apprend quelque chose (sans forcément nous faire réfléchir après). Par conséquent, vous pouviez parler de l' »art engagé », mais sans infléchir le sens du verbe « instruire » à « réfléchir ».

De plus, la question est vague : qui l’art instruit-il ? Et qu’apprend-il, à propos de quoi ? Une réflexion sur le sujet a donc intérêt à lever toute ces imprécisions.

La réponse par la négative à la question peut déboucher sur deux pistes différentes : l’art n’instruit pas, il ne nous apprend rien. Ou bien non l’art n’instruit pas, mais il divertit, il fait rêver ou même il n’instruit pas directement, mais nous permet de trouver par nous-même des vérités.

Un paradoxe conduisant à une problématique possible était ici assez facile à trouver : l’art (dans sa conception « classique » du moins) s’adresse à notre faculté d’apprécier le beau et non à nos facultés intellectuelles qui nous permettent d’apprendre des connaissances.

Bookmarquez le permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *