Une dissertation de philosophie doit être structurée, selon un plan progressif, qui répond à une problématique de départ (voir le Tutoriel n°7 et le Tutoriel n°8). Elle doit aussi contenir des idées suffisamment expliquées et argumentées. En effet, ce qui importe au correcteur, c’est bien plus la qualité de votre argumentation que le fait que vous démontriez la thèse A plutôt que la thèse B ou vice-versa.
Nous allons voir, dans ce tutoriel, quelle est la méthode à suivre, pour bien développer vos arguments.
Qu’est-ce qu’argumenter ?
Argumenter consiste à justifier une affirmation, à l’aide d’autres affirmations, qui sont plus fondamentales, et à partir desquelles on peut déduire logiquement l’affirmation à argumenter.
En toute rigueur, les affirmations qui servent d’arguments resteraient elles-mêmes à argumenter et ainsi de suite ! Mais, il faut savoir rester raisonnable et ne pas vous perdre dans la recherche du « pourquoi du pourquoi » !
Une argumentation peut se construire autour :
1) d’une vérité plus générale que l’affirmation que l’on doit argumenter. Par exemple, si je veux démontrer que « Socrate est mortel », alors je peux m’appuyer sur la vérité universelle : « Tous les hommes sont mortels ».
2) de la raison de l’énoncé que l’on doit argumenter : « Il n’a pas pu aller en cours ». Raison : « parce qu’il était malade »
3) de la nature d’une chose, dont la propriété reste à démontrer. Par exemple, je peux argumenter l’affirmation : « l’âme est immortelle » (propriété de l’âme), en invoquant l’hypothèse : « l’âme est immatérielle »(nature de l’âme). « Si l’âme est immatérielle, alors elle est nécessairement immortelle. »
4) de la conséquence (juridiquement ou moralement recevable) de l’affirmation à argumenter. Par exemple, je peux argumenter l’affirmation : « il faut limiter notre liberté », par la conséquence : « afin de respecter la liberté des autres, et par réciprocité, afin qu’ils respectent la mienne ».
Pourquoi les exemples ne sont-ils pas des arguments ?
Un exemple est toujours un cas particulier, qui est constaté, au cours de notre expérience. Il est donc souvent possible de produire un contre-exemple ! Un exemple sert donc uniquement à illustrer une idée (nous verrons comment dans le tutoriel n° 10), mais ne démontre absolument rien !
Pourquoi les thèses d’auteurs ne sont-elles pas des arguments en soi ?
Il est tentant de prendre des thèses d’auteurs pour des arguments, dans la mesure où ce sont des « grands » noms de la philosophie ou d’autres disciplines, qui ont affirmé telle ou telle chose. Cependant, si vous pouvez vous appuyer sur des thèses d’auteurs, il faut prendre garde à ne pas les présenter comme des arguments en soi, c’est-à-dire qui auraient le « dernier mot ».
En effet, l’argumentation d’un auteur suppose tout un système de vérités plus fondamentales, sur lesquelles il s’appuie. Il faut donc présenter la thèse ou l’argumentation d’un auteur, comme subordonnée à ce système : « si nous supposons telle ou telle hypothèse, alors nous pouvons dire, comme Platon, que… ».
Nous verrons comment vous servir des thèses des auteurs, dans le tutoriel n°11.
Comment argumenter ?
Sur le plan du contenu : votre argumentation doit reposer sur des idées pertinentes et qui restent dans les limites du raisonnable. Evitez toute affirmation portant à polémique.
Sur le plan de la forme :
– Evitez absolument de flatter le lecteur, d’en appeler à son bon sens ou d’utiliser des formules rhétoriques comme : « nul ne saurait ignorer que … ». En effet, vous n’êtes plus alors dans un travail d’argumentation, mais de persuasion.
– Votre argumentation doit être suffisamment développée : autrement dit, le correcteur ne doit pas avoir l’impression qu’il manque des étapes.
– Elle doit être annoncée par des articulations, comme « en effet », « car », « parce que » et contenir des articulations, comme « or ».
Exercice d’application
Je reprends le sujet du Tutoriel n°8 : « Y a-t-il un devoir de mémoire ? », avec le plan proposé pour la problématique n°2.
J’argumente l’idée du §1 de la Deuxième partie.
Rappel de l’énoncé du §1 :
« Le devoir de mémoire nous ordonne de nous souvenir d’actions, commises par des personnes qui ont risqué ou sacrifié leur vie pour d’autres, ou bien de personnes qui ont été victimes d’actes inhumains. En nous souvenant de ces faits et en les commémorant par des cérémonies, nous faisons nous-mêmes preuve de respect, envers ses personnes et leur mémoire. »
Dans mon plan détaillé, j’avais simplement indiqué le lien entre le fait de se souvenir et le fait de témoigner du respect. Il me reste ici à argumenter ce lien : pourquoi, lorsque nous nous souvenons de certains faits et lorsque nous les commémorons dans des cérémonies, faisons-nous alors preuve de respect moral, vis-à-vis de leurs auteurs ?
Mon argumentation :
La morale nous ordonne de respecter autrui, autrement dit, de le considérer comme ayant une dignité morale, c’est-à-dire comme possédant une valeur absolue (propre à l’être humain), et non une valeur relative (propre à un simple objet, que l’on peut vendre, acheter ou donner) . Ce respect se présente, tout d’abord sous la forme d’un sentiment, mais se concrétise également, dans nos actions.
Or, dans le devoir de mémoire, nous nous souvenons tout d’abord d’un fait. Cela montre que nous savons qu’il s’est déroulé et que nous accordons de l’importance, soit aux auteurs de ce fait (ex la Résistance et les Résistants), soit aux à ceux qui en ont été les victimes (ex : la déportation et les déportés). Nous faisons donc preuve d’un respect moral, vis-à-vis de ces personnes, en reconnaissant leur statut de sujets et non de simples objets (notamment dans le cas des déportés, qui, à l’inverse, étaient considérés par leurs bourreaux, comme de simples objets).
De plus, dans le devoir de mémoire, il s’agit non seulement de nous souvenir, mais aussi de commémorer collectivement un fait, par une cérémonie. Notre sentiment de respect ne s’exprime pas seulement dans un souvenir, mais se concrétise également au niveau de nos actes. Nous suspendons, un moment, notre vie « ordinaire », marquée par le rythme du travail, et prenons le temps de commémorer un fait. Nous accordons alors, pour un moment, plus de valeur à ce fait et à ses acteurs qu’à nos intérêts quotidiens et personnels.
Exercice d’entraînement
Vous pouvez faire cet exercice dans la zone des commentaires (ou sur la page « me contacter », si vous ne voulez pas que votre travail paraisse sur le site)
Reprenez le sujet du Tutoriel n°8 : « Y a-t-il un devoir de mémoire ? », avec le plan proposé pour la problématique n°2 :
1) Développez l’argumentation esquissée dans le §3 de la Première Partie
Enoncé du §3 :
« Conséquence : le devoir est une obligation qui porte sur une action, parce qu’elle a des conséquences physiques ou psychologiques sur autrui, et non sur un simple souvenir du passé. Argument : la morale a pour rôle du nous faire agir, selon la valeur du bien. Si elle nous ordonne de nous rappeler nos faits passés, c’est pour les juger et nous faire éprouver, soit de la bonne conscience, soit de la mauvaise conscience. »
2) Reprenez l’idée du §1 de la Troisième Partie, en trouvant et en développant une argumentation
Enoncé du §1 :
« Le devoir de mémoire, plutôt que d’être au service de fins morales, peut au contraire servir des fins nationalistes. »
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