Le français-philosophie est une matière qui peut paraître secondaire, par rapport aux matières scientifiques, si l’on considère son horaire hebdomadaire (seulement 2 heures) et son coefficient dans les différents concours. Cependant, c’est une matière qui (avec la langue vivante) permet de départager les candidats qui se retrouvent souvent, aux concours, avec un niveau scientifique à peu près égal.
Il est donc important que vous investissiez du temps, dans cette matière, en particulier pour lire les oeuvres au programme. (Sur le programme 2015-1016 sur le thème « Le monde des passions », voir mon article : Le français-philosophie en CPGE scientifiques.)
Cependant cet investissement ne s’avèrera pas rentable, si vous n’appliquez pas les bonnes règles de méthode. Dans cet article, je vous explique la règle n°1 à suivre, pour réussir la dissertation, à savoir : bien analyser le sujet qui vous est donné. J’illustrerai mes consignes par un exemple, puis par un exercice, que je vous conseille de faire, pour vous entraîner, et dont la correction vous sera proposée, dans un prochain article.
Bien éviter le piège d’une épreuve sur programme
L’exercice qui vous est demandé de faire consiste à donner votre avis sur une courte citation d’un auteur, en vous appuyant sur les oeuvres au programme. Cependant, les deux erreurs souvent répertoriées par les jurys sont les suivantes :
– le hors-sujet;
– le simple « plaquage » de connaissances sur le sujet proposé.
Or, ces deux erreurs sont sévèrement sanctionnées par les jurys. La règle d’or, pour les éviter, consiste à analyser finement le sujet qui vous est proposé.
Comment analyser finement le sujet qui vous est proposé
1. Considérez le sujet dans sa globalité
La citation proposée est composée, en général de plusieurs phrases. Vous devez d’abord repérer quelle est la thèse de l’auteur, à propos du thème sur lequel vous avez travaillé, pendant l’année. Puis, vous devez bien mettre à jour la progression de sa pensée d’une phrase à l’autre : l’auteur explique-t-il, démontre-t-il ou complète-t-il ce qu’il a tout d’abord affirmé ? Le titre de l’oeuvre, ainsi que l’année de sa publication peuvent aussi vous être d’une aide précieuse, pour situer le contexte.
Exemple sur la citation de S. Weil
« Le guerre efface toute idée de but, même l’idée des buts de la guerre. Elle efface la pensée même de mettre fin à la guerre » (Simone Weil : L’Illiade ou le poème de la force, 1940)
(Sujet donné à Polytechnique, ENS, filères MP et PC, session 2015, sur le thème de « La guerre »)
La thèse de S. Weil montre quels sont les effets de la guerre sur les buts. Son propos est catégorique et n’admet pas d’exception. On note une progression en trois temps, qui va du général au particulier :
– S. Weil parle tout d’abord de l’idée de but, en général,
– puis, elle parle de l’idée de buts circonscrits à un domaine : celui de la guerre;
– enfin, elle parle d’un but particulier : celui de mettre fin à la guerre.
S. Weil écrit ces propos en 1940, c’est-à-dire au début de la Seconde Guerre mondiale, début qui a notamment été marqué par l’invasion de la Pologne et par l’Occupation d’une partie du territoire français, par l’armée allemande.
2. Analysez les sens des différents termes du sujet et argumentez les propos de l’auteur
Une fois le repérage du sens global de la citation effectué, il est indispensable que vous vous penchiez sur le détail des termes. Les termes clefs sont à définir impérativement, en prenant soin de distinguer leurs différents sens, s’il y en a. Au cours de ce travail, n’oubliez surtout pas d’analyser les verbes soigneusement choisis par l’auteur. Cette analyse précise des sens des termes vous permet en même temps de comprendre la pensée de l’auteur et de l’étayer par des arguments.
Dans un premier temps, ne recherchez pas d’objections (sauf si l’auteur répond manifestement à des objections). En effet, il est important que vous compreniez bien sa thèse, avant de la critiquer.
Exemple sur la citation de S. Weil
Le choix du verbe « effacer » (répété deux fois) n’est pas anodin, puisque « effacer » consiste à faire disparaître quelque chose qui existait auparavant. Or, les buts qui sont effacés par la guerre sont bien présents avant le déclenchement de celle-ci et même dans ses premiers moments. En effet, une guerre est un conflit armé, mené selon une certaine stratégie, qui oppose des forces humaines, dans une série de combats. Or, une guerre est déclenchée, parce que ses protagonistes comptent atteindre par son moyen un certain nombre de buts : par exemple, conquérir un territoire ou défendre leur propre territoire. Cependant, l’exercice même de la guerre, selon S. Weil, efface de l’esprit des protagonistes tout but.
Plus exactement, il s’agit de l' »idée de but » : le terme « idée » est répété deux fois et est repris, dans la dernière phrase, par le terme « pensée ». En effet, tant qu’un but n’est pas concrétisé, sa seule réalité est celle d’une idée, représentée dans l’esprit des individus. Ceux-ci concentrent leurs volontés et leurs actions vers la réalisation de ce but. Cependant, la guerre fait que les individus n’agissent plus selon leur propre volonté, mais de manière mécanique : les soldats et les sous-officiers doivent obéir aux ordres de leur hiérarchie : les buts qu’ils doivent réaliser sont donc représentés dans l’esprit d’autres individus.
Certes, on pourrait objecter que les soldats ont quand même dans l’esprit le but de gagner la guerre ou du moins de gagner la bataille à laquelle ils sont en train de participer. Mais, S. Weil répond à l’avance à cette objection (par le terme « même »). Devant les conditions extrêmes des combats, les soldats ne sont plus alors guidés que par leur instinct de survie. Il s’agit de tuer l’ennemi, pour ne pas se faire tuer. Ils sont parfois même guidés, par un instinct de cruauté, qui leur fait commettre des exactions et des actes de torture sur les populations civiles.
Or, le paradoxe redouble, car même devant l’échec de la victoire, les souffrances, les pertes humaines et matérielles, les hommes n’ont pas l’idée de mettre fin à la guerre, par des moyens pacifiques, comme un traité de paix, ou par des moyens plus violents, comme la révolte des soldats. La guerre continue de se dérouler, selon un sorte de fatalité, qui échappe au contrôle de ses protagonistes. Même les états majors des armées en conflit, ainsi que les gouvernements s’entêtent à faire la guerre « pour la guerre », comme le montre la Première Guerre Mondiale, au cours de laquelle la vie de nombreux soldats a été sacrifiée, dans des assauts qui ne faisaient gagner que quelques mètres de tranchées sur l’ennemi.
Il semble alors que la guerre ne pourra s’arrêter qu’une fois que tous les moyens humains et matériels auront été épuisés. Ainsi, le titre de l’oeuvre d’où la citation est extraite fait référence à l’Illiade, poème homérique sur la guerre de Troie, ville dont le siège, par l’armée grecque, dura 10 ans.
Exercice complet sur un sujet sur le thème 2015-2016 : « le monde des passions »
Je vous propose, en guise d’exercice, d’analyser une célèbre citation de Hegel sur les passions. Vous pouvez faire l’exercice dans la zone des commentaires ci-dessous ou sur la page « Me contacter ». Je vous renverrai alors un rapide corrigé de vos idées. Un corrigé de l’exercice sera donné, dans un prochain article.
« Nous disons (…) que rien ne s’est fait sans être soutenu par l’intérêt de ceux qui y ont collaboré. Cet intérêt, nous l’appelons passion lorsque refoulant tous les autres intérêts ou buts, l’individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins. En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ».
Hegel : La raison dans l’histoire (1822-1830)
Conclusion
Je vous conseille de vous exercer à faire des analyses de sujets, dès votre première année. Réussir de telles analyses est une question d’entraînement ! Ce n’est qu’une fois ce travail fait que vous pourrez utiliser à bon escient les connaissances acquises, au cours de vos lectures.