Comment travailler la notion au programme de l’Agrégation externe de philosophie ?

La deuxième épreuve écrite de l’Agrégation externe de Philosophie consiste en une « composition de philosophie se rapportant à une notion ou à un couple ou groupe de notions selon un programme établi pour l’année ». Elle demande donc une préparation différente de la première épreuve, laquelle consiste en une dissertation « sans programme ». La préparation d’une épreuve sur programme peut paraître plus facile, mais elle comporte aussi ses propres pièges. En effet, la lecture des rapports des jurys montre que la majorité des copies pèchent pour les unes, par un manque de préparation sérieuse des candidats, mais pour beaucoup d’autres, par une préparation maladroite.

Le but de cet article est de vous donner des conseils et des stratégies, afin de vous éviter de faire une préparation qui serait « contre-productive », à savoir investir beaucoup de temps, pour un résultat décevant. Mes conseils s’appuient sur les principaux défauts que les rapports des jurys remarquent, d’année en année, dans les copies.

Conseil n°1 : rappelez-vous que vous préparez une dissertation de philosophie !

Ce premier conseil peut paraître trivial, mais il repose à mon sens sur le défaut principal des copies qui n’obtiennent pas une note permettant l’admissibilité : soucieux de mobiliser le savoir acquis pendant l’année, beaucoup de candidats « oublient » que, le jour du concours, ils ne sont plus dans la préparation de la notion, mais face à un sujet, contenant des termes précis, posant – la plupart du temps – une question, dont le ou les sens restent à déterminer, et qui demande à être problématisée.

« (…) le sujet d’une dissertation de philosophie requiert d’avoir la vue bonne et pour cela de savoir, dans un premier temps, mettre entre parenthèses tout le savoir appris. » (Rapport du jury, 2012)

Il faudra donc, le jour du concours, que vous soyez capable de faire une analyse précise du sujet. Une telle capacité ne s’improvise pas et demande de l’entraînement tout au long de l’année. Associez, à votre travail de préparation de la notion, le travail de méthodologie de la dissertation (travail commun avec la préparation de la première épreuve). Mais rendez-le spécifique à cette épreuve, en travaillant des libellés de sujets, en rapport avec la notion.

Le mieux est que vous soyez inscrit à une préparation universitaire, qui vous propose un entraînement régulier, sur des dissertations, en temps limité. Si vous ne pouvez pas y participer, il vous faudra :
– trouver des libellés de sujets, au cours de vos lectures. Notez que sujet donné en 2014 (« l’origine de la négation ») se trouvait … dans la table des matières de l’Etre et le Néant !
– en inventer.

Il n’est pas inutile, non plus, de passer en revue les différents sujets, qui sont tombés ces dernières années. Vous pouvez remarquer que les sujets sous forme de question dominent, mais que des expressions, des couples de notions ou même une seule notion forment également des sujets possibles.

De plus, il est important de savoir que le jury ne s’estime pas tenu de reprendre la notion ou le couple de notions, au programme, dans le libellé du sujet. (Voir, à ce propos, les années 2005, 2009, 2015, dans le tableau suivant).

Les notions au programme et les sujets donnés entre 2003 et 2015

année notion au programme sujet donné au concours
2003 La volonté Comment la volonté peut-elle être indéterminée ?
2004 Le corps et l’esprit Penser requiert-il un corps ?
2005  La propriété : le propre, l’appropriation. Avoir
2006 La connaissance des choses : définition, description, classification Connaître les choses, en quoi est-ce déterminer leurs différences ?
2007  L’action : délibérer, décider, accomplir L’action requiert-elle décision d’un sujet?
2008 L’image Peut-on dire d’une image qu’elle parle ?
2009 L’individu Individuation et identité
2010  L’expérience La réflexion sur l’expérience participe-t-elle de l’expérience ?
2011  L’histoire D’où vient que l’histoire soit autre chose qu’un chaos ?
2012 L’animal Le monde de l’animal
2013  La forme De quoi la forme est-elle la forme ?
2014 La négation L’origine de la négation
2015 Le phénomène Qu’est-ce qui apparaît ?
2016 La réflexion L’objet de la réflexion

Conseil n°2 : Travaillez à la fois « en largeur » et « en profondeur »

« Il s’agit, dans la préparation de cette deuxième épreuve, de se rendre le plus possible maître et utilisateur de ses connaissances dans un champ donné de la réflexion, d’une part en approfondissant l’analyse des doctrines faisant le plus autorité dans l’histoire de la philosophie sur le thème proposé, d’autre part en s’interrogeant sur les différents savoirs concernés par la question à étudier, leurs rapports transversaux, et la capacité des uns à servir de modèle ou d’instrument critique pour les autres. Les deux tâches sont complémentaires, et non pas juxtaposées et indifférentes l’une à l’autre, leurs résultats s’enrichissent mutuellement. Le programme de l’épreuve constitue ainsi un véritable champ de recherche, et doit être traité comme tel. »(Rapport du jury, 2007)

Vos lectures doivent vous permettre d’acquérir une vue synthétique de la notion, tout en vous donnant des connaissances précises et pointues. Votre préparation devra donc :

– « balayer » tous les champs de réflexion, dans laquelle la notion opère

Par exemple, pour la réflexion :
– la réflexion philosophique : elle porte soit sur l’objet de la connaissance, soit sur la connaissance elle-même, soit sur le sujet de la connaissance (réflexion sur soi);
– la réflexion autre que philosophique : qu’en est-il de la réflexion de l’historien, du juriste, du scientifique, etc.? Essayez aussi des pistes originales : peut-on dire que l’artiste réfléchit ?

– acquérir des connaissances très précises sur la notion

– sur les différents sens qui lui sont attribués (en fonction des époques et des doctrines philosophiques);
– sur ses différences avec des notions voisines;
– sur les « sous-notions » ou notions connexes qu’on peut lui rattacher ;
– sur les problèmes philosophiques auxquels elle est rattachée;
– sur les solutions doctrinales apportées à ces problèmes.

En ce qui concerne le choix des auteurs que vous pourrez convoquer dans votre réflexion, vous avez une totale liberté, du moment que leur utilisation s’avère pertinente. Cependant, faites bien attention, au cours de votre préparation :
– à acquérir une culture philosophique assez large (allant des auteurs de l’Antiquité jusqu’aux Modernes). Ainsi, un rapport de jury se plaignait récemment d’une surenchère de références d’auteurs modernes, dans les copies, au détriment des auteurs « classiques ».
– à connaître soigneusement leurs ouvrages, de telle sorte à pouvoir convoquer, certes, le « bon » auteur, mais aussi le « bon passage », chez cet auteur, et non un autre moins pertinent.

Bien évidemment, si un tel travail est nécessaire, il n’est pas suffisant en soi, puisque l’objectif ne sera pas de restituer « telles quelles » ces connaissances (cf. Conseil n°5)

Conseil n°3 : Ne lisez pas que de la philosophie

Parlant du « profil » qui est attendu des candidats, le jury du Concours 2004 écrit :

« la philosophie se nourrit de ce qui n’est pas elle-même : ils savent mobiliser, intelligemment et de façon informée, des connaissances qui viennent d’autres « champs » du savoir. » (Rapport du jury 2004)

Vous pourriez vous dire que le programme étant déjà bien chargé, vous n’avez pas le temps, d’aller lire « autre chose » que de la philosophie. Toutefois, ce serait vous tromper lourdement. En effet :
– Les jurys sont particulièrement attachés à l’idée que tout futur professeur de philosophie doit être en possession d’une culture générale.
– De plus, le concours rassemble des candidats qui viennent de différents horizons : Université, Classes Préparatoires, Ecoles Normales Supérieures. Par leur formation, les étudiants des deux dernières catégories sont, pour ce qui est de la « culture générale », avantagés. Si vous avez fait vos études à l’Université, je vous engage fortement à prendre cette habitude.
– Enfin, vous intéresser à d’autres champs du savoir que la philosophie, vous sera utile et même nécessaire, pour la préparation de la première épreuve écrite et des épreuves orales.

Par exemple, pour la notion au programme 2016, la réflexion, il serait maladroit de restreindre l’ensemble de vos lectures à l’usage figuré du terme (réflexion intellectuelle). La réflexion désigne tout d’abord un phénomène physique et notamment optique (réflexion de la lumière ou d’autres corpuscules). Autrement dit, vous avez tout intérêt à vous documenter sur ce phénomène physique, sur les expériences qui y sont rattachées et les problèmes épistémologiques qu’elles soulèvent (par exemple : nature corpusculaire ou ondulatoire de la lumière ? « dualité » onde /corpuscule, en physique quantique).

Conseil n°4 : privilégiez la qualités de vos connaissances à la quantité.

Parlant du « profil » qui est attendu du candidat, le jury du Concours 2008 écrit :

« Il ne bute pas sur une emphase inutile, sur des allusions imposantes mais futiles tant qu’elles demeurent des allusions. » (Rapport du jury, 2008)

Si, comme nous l’avons vu, la préparation demande d’acquérir des connaissances à la fois larges et précises, je vous conseille cependant, de toujours privilégier la qualité à la quantité. En particulier, méfiez-vous des citations tirées de leur contexte (et parfois même modifiées) : allez toujours lire le passage, le chapitre (ou même le livre !) d’où elles sont tirées, afin de savoir par rapport à quel(s) problème(s) elles sont convoquées.

Conseils n°5 : La connaissance des doctrines des auteurs n’est pas une fin en soi

Insistant sur la nécessité d’un travail de lecture, le jury du Concours 2006, précise néanmoins :

« Cela n’implique pas, bien entendu, que les copies puissent se réduire à des exposés plus ou moins standards d’histoire de la philosophie. Ce point peut paraître évident, mais il faut pourtant le répéter une fois encore en préliminaire, tant il semble que trop de candidats ne sont pas suffisamment conscients de son importance : un catalogue de doctrines ne peut en aucune façon tenir lieu de la construction d’une problématique adaptée à l’examen philosophique d’un problème clairement discerné, et formulé, au sein d’un champ bien circonscrit. »(Rapport du jury 2006)

C’est peut-être le point le plus difficile de l’épreuve : savoir mobiliser les connaissances, tout au long d’une réflexion, et non donner l’impression de les réciter, pour elles-mêmes.

Une telle capacité repose tout d’abord sur un travail préalable d’analyse du sujet bien conduit, le jour de l’épreuve. Mais, elle se travaille également pendant l’année : ne vous contentez pas, lors de votre préparation de vous constituer un « stock » de connaissances, de problématiques ou de thèses des différents auteurs. Mais, réfléchissez déjà dessus, en les croisant (notamment en fonction de divers champs de réflexion, cf. Conseil n°2), en remontant à leurs présupposés, en dégageant leurs enjeux et leurs conséquences.

Conseil n°6 : Prenez de la distance par rapport à vos cours ou à vos lectures sur la notion

« Les difficultés que les candidats ont rencontrées pour traiter le sujet de façon convaincante sont dues à un effet paradoxal de la préparation. Le sujet s’est vu surimposer des analyses sur d’autres questions. » (Rapport du jury, 2011)

Faites également attention à ne pas rester prisonnier des problématiques que vous auriez pu traiter sur la notion, pendant l’année de préparation, et à ne pas vouloir les restituer « coûte que coûte », le jour du concours. Là encore, il s’agit, comme le dit l’un des jurys, d’oublier, dans un premier temps ce que vous avez appris. Une fois cette analyse préalable du sujet terminée, les références et les problèmes pertinents doivent « naturellement » vous venir à l’esprit.

Conclusion : Faut-il ne lire que les « auteurs » ou également des monographies sur la notion ?

Dans l’absolu, la lecture des auteurs devrait déjà suffire. Cependant, il est évident que la lecture de monographies sur le sujet peut vous faire gagner un temps précieux, que ce soit dans le « balayage » de la notion ou dans la compréhension du traitement qui en est fait chez certains auteurs.

Cependant, je vous conseille de bien faire le tri, dans vos lectures. Préférez :
– les auteurs qui utilisent un langage clair et accessible (l’utilisation d’un jargon n’a jamais signifié une pensée « profonde »),
– qui savent aller à l’essentiel, tout en approfondissant leurs analyses (sans délayer leurs propos, dans un verbiage inutile). Personnellement, j’utilise le critère suivant : essayer de résumer les premières pages. Si le résumé est pratiquement aussi long qu’elles, c’est que l’auteur dit bien l’essentiel !

Par exemple, des universitaires comme Pierre Macherey ou Pierre Guenancia me semblent allier, dans leurs livres ou articles, ces deux qualités. Bien entendu, ma liste n’est pas exhaustive !

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Cette synthèse vous permettra de connaître exactement quelles sont les principales règles à respecter pour réussir une dissertation philosophique, dans les concours du supérieur. Les tomes suivants vous permettront de mettre en pratique ces règles et de travailler les difficultés propres à chaque thématique, à l’aide d’exercices et de programmes de lecture.

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