Comment travailler une oeuvre pour préparer le CAPES ou l’Agrégation de Philosophie ?

La préparation au CAPES ou à l’Agrégation de Philosophie repose, en grande partie, sur la lecture d’oeuvres philosophiques. En effet, ce travail est indispensable, pour vous constituer une réserve d’idées et de références d’auteurs, pour la dissertation écrite ou la leçon d’oral. Chaque année, les rapports de jury fustigent les copies qui se contentent d’allusions vagues aux auteurs ou bien de références de seconde main (prises dans des résumés, des anthologies, ou dans des commentaires) et rappellent combien il est important d’avoir « une familiarité avec un auteur, qui ne peut s’acquérir que par une fréquentation directe, régulière et exigeante » de ses oeuvres. (Rapport du CAPES externe, 2014).

De même, la lecture d’oeuvres philosophiques est indispensable pour mener à bien le travail d’explication de texte, que ce soit sur l’un des deux auteurs au programme de l’Agrégation (pour ne parler que de l’écrit) ou sur l’un des 50 auteurs du programme du CAPES (pour l’écrit et l’oral). En effet, il est impossible de faire une explication digne de ce nom, sans avoir de connaissances solides sur les idées de l’auteur du passage.

D’accord, mais comment procéder, vu la « masse » d’auteurs à connaître et de livres à travailler ?

Dans cet article, je vous propose différentes stratégies, qui vous permettront de tirer vraiment parti de vos lectures. Je prendrai notamment comme exemple, la Première section des Fondements de la Métaphysique des moeurs de Kant.

Le principe qui anime toutes ses stratégies consiste à vous éviter de faire une lecture simplement passive des oeuvres. En effet, une telle lecture vous fera rapidement oublier son contenu et sera sans réelle utilité, pour les exercices demandés aux concours. Au contraire, ce principe vous invite à travailler activement le texte que vous lisez, de différentes façons.

1. Faire un plan du texte

Ce travail s’avère indispensable, pour avoir une vue d’ensemble de l’oeuvre. De plus, il vous force à en comprendre la structure et la progression, ainsi qu’à repérer les concepts importants et les problèmes qui y sont posés.

Son utilité s’avèrera d’autant plus précieuse, au fur et à mesure que vous accumulerez vos lectures, au cours du temps. Vous pourrez ainsi réviser le contenu principal des oeuvres déjà lues et faire des comparaisons entre elles.

Je vous présente en fichier PDF le plan que j’ai fait de la Première section des Fondements de la Métaphysique des Moeurs.. Pour que ce travail soit ensuite « exploitable », il convient de respecter certaines règles :
– faire un plan qui ne soit pas trop schématique, mais qui ne contienne pas non plus trop de détails;
– bien marquer la progression entre les idées.

2. Faire une ou plusieurs cartes heuristiques

Il est également intéressant de présenter le plan d’une autre façon, à l’aide d’une ou de plusieurs cartes heuristiques. Sur leur conception, je vous renvoie aux articles précédents :
La carte heuristique : un outil de travail pratique (sur la méthode pour faire des cartes heuristiques)
Mémorisez la structure d’un livre avec la carte heuristique
Mémorisez le contenu d’un livre avec la carte heuristique.

Ces cartes donnent une vue d’ensemble du texte, de manière plus condensée que le plan, en retenant les concepts principaux. Il s’agit d’établir une sorte de cartographie de concepts, afin que votre esprit puisse facilement les réactualiser, le jour de l’examen et établir des liens entre eux.

3. Repérer les notions clefs de l’oeuvre, et les « sous-notions ».

Ce repérage va vous permettre de constituer une « réserve » d’idées, que vous pourrez réinvestir, dans les exercices de la dissertation et de l’explication de texte. Je distinguerai trois catégories :
– les notions philosophiques « standard » (qui correspondent en général au programme de Terminale)
– ce que j’appelle les « sous-notions » (moins générales que les notions)
– les notions ou expressions originales, qui ont retenu votre attention.

Dans le texte de Kant, pris en exemple, voici ce que j’ai retenu :
– notions : raison, bonheur, devoir.
– sous-notions : représentation, respect, souverain bien, imitation
– notions ou expressions ayant retenu mon attention : « pouvoir vouloir », « la croisée des chemins », « aimer son prochain », la « subtilité ».

Le principe de cet exercice est :
– de repérer ce que l’auteur dit sur ces notions, dans les différents passages de son oeuvre (les définitions qu’il en donne, les thèses principales qu’il énonce à leur sujet) ;
– de faire des fiches qui seront complétées, par des références d’autres auteurs et, en particulier, dans des champs de réflexion différents, pour les notions qui s’y prêtent.

Exemple dans le livre de Kant : j’ai repéré la notion de « représentation » (ici la représentation de la loi), parce qu’il s’agit d’un concept transversal (qui donnerait lieu d’ailleurs à un très beau sujet d’écrit !). Je compte ensuite compléter ma fiche par :
– la représentation au sens politique du terme (notamment ce que pense Rousseau, dans le Contrat Social, de la représentation de la Volonté Générale);
– la représentation dans le champ de la connaissance (différence entre présentation et représentation notamment);
– la représentation dans le domaine esthétique.
– d’autres idées me viendront, au cours de mes autres lectures.

De même, il est intéressant de repérer le concept d' »imitation ». Une orientation de la réflexion sur l’imitation dans le domaine moral s’avère être complémentaire à la traditionnelle – et trop convenue – question de l’imitation dans l’art !

De plus, je vous invite à repérer des notions ou expressions plus originales et pas forcément « philosophiques », au premier abord. L’exercice de la réflexion philosophique consiste également à faire des « ponts » entre notions. Par exemple, Kant utilise le terme « clef de voûte » (dans la Critique de la Raison Pratique). A mon sens, il est possible de convoquer cette notion, pour travailler la notion de « fondement » (plus philosophique !), en montrant comment ces deux termes renvoient à quelque chose qui soutient un ensemble, mais de manière radicalement différente.

De même, il me paraît intéressant de repérer la notion de « subtilité » (utilisée trois fois, pp. 69-70 de l’édition Vrin), afin d’en travailler le sens. En effet, si nous « sentons » vaguement quel peut être le sens de ce terme, lorsque nous l’utilisons dans des expressions courantes, il est bien plus difficile de le conceptualiser !

4. Repérer des passages dans l’oeuvre, pour les expliquez en détail

Constituez-vous une « réserve » d’extraits de texte (d’une trentaine de lignes), que vous expliquerez en détail. Faites des fiches de lecture à leur sujet, comme indiqué, dans mon précédent article : La fiche de lecture, sa conception et son utilisation.

Par exemple, dans cette Première Section (la pagination est dans l’édition Vrin) :
– page 57 : le §3, dans son entier. Kant établit que la volonté tire sa valeur d’elle-même, indépendamment de son utilité. Néanmoins, il fait une analogie entre d’un côté la volonté et l’utilité et de l’autre un joyau et sa sertissure. La connaissance exacte de ce passage vous aidera donc à ne pas caricaturer l’opposition entre la valeur inconditionnelle de la volonté et son utilité.
– page 68 : le § 17, dans son entier. Kant montre pourquoi le principe qui détermine la volonté, dans l’action morale, doit être la forme de la loi et non le contenu d’une loi particulière. La connaissance exacte de ce passage vous permettra de bien justifier l’énoncé de la loi morale kantienne et non de la ressortir telle quelle, comme si cela allait de soi !

5. Baliser le texte

De nombreux étudiants surlignent des passages au marqueur. Je vous propose une méthode un peu plus élaborée :
– surlignez à l’aide de crayons de couleur (moins « agressifs » que les marqueurs, ils focaliseront moins votre attention, sur ce que vous aurez repéré dans un premier temps, au détriment du reste du texte);
– choisissez un code de couleur, selon les types d’idées. Par exemple, je prends une couleur différente, pour repérer, dans le texte, les définitions, les exemples, les idées clefs du passage et les noms d’autres philosophes cités par l’auteur.

Kant_FMM_p66

(Cliquez sur la photo, pour l’agrandir)

Sur mon exemplaire des Fondements les concepts définis sont surlignés en bleu (ici : le devoir et la maxime) et les idées importantes sont soulignées en rouge. Notez aussi la numérotation des paragraphes, qui me permet de passer facilement du plan que j’ai établi au texte de l’oeuvre.

L’intérêt de ce travail est de vous permettre de reparcourir rapidement le texte (réellement ou mentalement), en essayant d’anticiper où se situent les idées clefs. Il est important de donner un support matériel à votre mémorisation des idées d’une oeuvre. Cette méthode vous sera grandement utile, pour travailler les auteurs au programme de l’Agrégation (que ce soit à l’écrit ou à l’oral) et vous constituer le maximum de repères dans leurs oeuvres, afin de pouvoir situer le passage que vous aurez à expliquer, le jour du concours. Il est indéniable, à la lecture des rapports des jurys, que les candidats qui arrivent à faire cette « prouesse » sont avantagés par rapport aux autres, dans la compréhension de la logique du texte !

Par exemple, je peux visualiser mentalement l’endroit où Kant, dans les Fondements donne une définition de la « maxime » : il s’agit d’une note, située sur une page de gauche du livre, dans mon édition (cf. la photo précédente). Et je raccroche ensuite à cette visualisation le souvenir de la définition : la maxime comme « principe subjectif de la volonté » (par opposition à la loi).

6. S’entraîner rapidement sur des sujets des concours

Prenez une liste de sujets d’oral, par thématique, et repérez ceux que vous pourriez traiter, en convoquant des idées du livre ou de la partie du livre que vous venez de travailler. C’est un excellent exercice, pour faire le lien entre le sujet posé et vos connaissances.

Par exemple, si vous reprenez la liste des sujets de morale, pris par les candidats à la Première Leçon de l’Agrégation externe 2010, vous vous apercevrez que, pour une vingtaine de sujets sur la soixantaine au total, vous pouvez vous appuyer directement sur les idées de la Première Section des Fondements. J’ai retenu, parmi quelques exemples, des sujets comme : « Les hommes n’agissent-ils que par intérêt? », « La mauvaise volonté », « Le respect », « La morale est-elle l’ennemie du bonheur? », etc.

Bien plus, prenez entre 15 et 30 minutes, pour travailler un sujet, en fonction des idées que vous aurez retenues du livre ou d’un passage.

Par exemple, pour le sujet : « La mauvaise volonté », il est intéressant de remarquer que Kant, dans les Fondements distingue la volonté bonne inconditionnellement d’une volonté « bonne pour… ». De même, une volonté peut-elle être mauvaise inconditionnellement ou bien est-elle toujours « mauvaise pour … » ? Autrement dit, est-il possible de renverser l’ordre entre le substantif et l’adjectif dans l’expression : « mauvaise volonté » (comme dans l’expression courante : « Y mettre de la mauvaise volonté »), pour parvenir au concept moral de « volonté mauvaise » ? Mais, si la volonté est rendue bonne en soi par la raison qui se représente la loi morale, qu’en est-il alors d’une mauvaise volonté : qu’est-ce qui la rend mauvaise inconditionnellement ?

Ce genre d’exercice a pour vertu de vous familiariser avec les idées que vous lisez et de vous entraîner, en même temps, à les travailler, en fonction de sujets de réflexion précis. Cela vous évitera notamment de tomber dans le travers qui consiste à citer une référence pour elle-même (défaut que les jurys déplorent trop souvent observer, dans les copies), au lieu d’en tirer des enseignements, pour la conduite de votre propre réflexion.

Conclusion

D’autres manières de rendre la lecture des oeuvres active sont sûrement possibles. L’important est de ne pas privilégier l’aspect quantitatif sur l’aspect qualitatif :

– Ainsi, je vous conseille de faire des relectures d’oeuvres (en même temps que vous en lisez des nouvelles). Les relire, après avoir lu une série d’autres oeuvres, vous permettra de l’aborder avec de nouvelles perspectives.

– De même, organisez la relecture approfondie d’une oeuvre, en plusieurs étapes, après avoir fait le plan global. Répartissez vos séances de lecture de manière logique, en fonction des parties du plan. Quand vous commencez une nouvelle séance de lecture, interrogez-vous toujours sur la lecture de la séance précédente : ce que vous en avez retenu, les idées que vous avez travaillées, etc. Ce travail vous entraînera à remobiliser activement vos connaissances.

Livres pour préparer les concours

Vous cherchez des ouvrages pour préparer au mieux vos concours ? Alors je vous recommande ma collection : « Entraînement à la dissertation philosophique pour les concours (CAPES, Agrégation, ENS) ». Le tome 1 vient de paraître :

Entrainement_dissertation_concours_tome1
Voir un extrait.
Achetez sur Amazon
Cet ouvrage est le tome 1 d’une série consacrée à l’Entraînement à la dissertation philosophique pour les concours du CAPES et de l’Agrégation de Philosophie, ainsi que pour l’épreuve de la dissertation philosophique à l’entrée des Ecoles Normales Supérieures.

Dans ce tome 1, j’ai recensé un grand nombre de remarques, de critiques et de conseils que vous pouvez trouver, de manière dispersée, dans les différents rapports des jurys des concours, mentionnés ci-dessus. Je les ai classés, selon différentes thématiques : analyse du sujet, travail de définition, utilisation de références d’auteurs, d’exemples, problématisation, introduction, plan et conclusion.

Cette synthèse vous permettra de connaître exactement quelles sont les principales règles à respecter pour réussir une dissertation philosophique, dans les concours du supérieur. Les tomes suivants vous permettront de mettre en pratique ces règles et de travailler les difficultés propres à chaque thématique, à l’aide d’exercices et de programmes de lecture.

Pour une présentation générale de la collection, consultez mon article Publications pour préparer le CAPES et l’Agrégation de Philosophie.

Allez à la page qui recense tous les articles, sur le CAPES et l’Agrégation de Philosophie

Bookmarquez le permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *