L’importance du « par coeur », dans votre réussite au CAPES ou à l’Agrégation de Philosophie

Il peut vous sembler paradoxal d’aborder la question du « par coeur », à propos de la philosophie, alors que l’objectif de cette dernière est d’apprendre à réfléchir par soi-même et non à connaître simplement des thèses d’auteurs. Les rapports des jurys déplorent chaque année le nombre important de copies qui se contentent d’empiler des références d’auteurs, dans l’ordre chronologique, au lieu de produire une véritable pensée.

Certes, philosopher ne consiste pas à réciter des thèses philosophiques, mais à l’inverse, croire que l’on peut produire une réflexion personnelle, sur la seule base de l’inspiration et de la spontanéité de la pensée est, à mon sens, une erreur encore plus grave. Comme l’indique le rapport 2014 du CAPES externe : « la réflexion philosophique ne se déploie pas dans un vide spéculatif, ni dans une ignorance confortable, non seulement de la tradition philosophique, mais aussi de la pensée scientifique et de la réalité naturelle, technique, sociale … qui la rendent possible. »

En effet, la réflexion ne peut se former qu’au contact d’auteurs et par une lecture patiente et minutieuse de leurs oeuvres. Encore vous faut-il ensuite pouvoir mémoriser ce que vous avez lu dans un livre ou bien écouté dans un cours. Or, sans méthode et vu la quantité assez colossale de connaissances à assimiler pour réussir les concours de philosophie, votre cerveau aura tendance à ressembler au tonneau des Danaïdes : plus vous y verserez de connaissances et plus vous en oublierez !

Dans cet article, je vous montre quelques techniques pour vous aider à mémoriser ce que vous avez lu et à démystifier la difficulté de cet exercice.

1. Pourquoi apprendre par coeur ?

Tout d’abord, il est nécessaire que vous soyez convaincu de la nécessité de cet exercice, avant de le pratiquer ! En effet, le jour du concours, il faut que vous ayez l’esprit assez aiguisé et perspicace, pour traiter du sujet. Bien entendu, cet objectif repose sur une bonne analyse du sujet au départ, mais il repose aussi sur un choix judicieux des connaissances, sur lesquelles vous allez pouvoir vous appuyer, au cours de votre réflexion.

Le schéma suivant vous donne une bonne idée de la difficulté à laquelle vous allez être confronté.

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(Cliquez sur le schéma, pour l’agrandir)

On peut lire ce schéma :
– de haut en bas : afin d’avoir à disposition des connaissances pertinentes pour traiter du sujet le jour du concours, vous devez vous constituer tout au long de votre année de préparation, une base très large de connaissances;
– de bas en haut : à chaque étape de votre apprentissage, il y aura une « déperdition » : vous n’apprendrez pas forcément tout ce que vous lirez ou écouterez ; vous ne retiendrez pas nécessairement tout ce que vous apprendrez; le jour du concours, vous ne réactualiserez pas nécessairement tout ce que vous savez et, parmi les connaissances que vous aurez réussi à réactualiser, seule une partie sera vraiment pertinente, pour pouvoir traiter du sujet !

Autant dire que les étapes n°2 et n°3 sont vraiment cruciales !

2. Quelles connaissances apprendre par coeur ?

1) Allez des connaissances générales aux connaissances spécifiques

Il est important de commencer par apprendre des connaissances générales, afin de bien avoir à l’esprit le contexte dans lequel sont situées les idées particulières.
Par exemple, commencez par mémoriser la structure générale d’un livre (les parties, par exemple), puis passez à la structure particulière (par exemple, les chapitres).
De même, progressez toujours des concepts généraux, aux concepts particuliers (à savoir, ceux dont la compréhension inclut celle de concepts plus généraux).

2) Apprenez des définitions de concepts

Il est important d’apprendre par coeur des définitions de concepts, pour pouvoir porter votre réflexion à un certain niveau. Cet apprentissage vous permettra de :
– dépasser le sens commun des termes;
– distinguer les sens qu’un même terme peut avoir chez différents auteurs;
– ne pas confondre ce terme avec des termes proches.

3) Mémorisez les idées et le raisonnement qui y conduit

Une idée connue, sans le raisonnement qui y aboutit, ne vous servira pratiquement à rien, le jour du concours.
Je vous conseille donc de toujours mémoriser le raisonnement qui conduit un auteur à son idée.

Par exemple, dans le Gorgias de Platon ne retenez pas seulement que, pour Socrate, la rhétorique fait croire et non savoir, à propos du juste et de l’injuste, mais mémorisez le raisonnement qu’il fait, pour en arriver à cette conclusion.

3. Comment procéder, pour apprendre par coeur ?

1) Comment apprendre la structure d’un livre ?

Deux méthodes sont particulièrement efficaces, pour apprendre la structure d’un livre :
– la méthode des cartes heuristiques;
– la méthode des marque-pages.

La méthode des cartes heuristiques

L’utilisation de la carte heuristique est efficace, pour mémoriser la structure d’un livre. Pour en savoir plus à ce sujet, consultez mon article Comment utiliser la carte heuristique pour mémoriser la structure d’un livre.

Cette technique vous aidera à situer le texte que vous aurez à l’écrit de l’Agrégation. Et avec un peu (ou beaucoup) de chance, vous pourrez aussi tomber au CAPES sur l’extrait d’une oeuvre, dont vous connaissez la structure.

Ensuite mémorisez les idées clefs de certains chapitres. Pour plus d’informations sur ce point, consultez mon article : Mémorisez le contenu d’un livre avec des cartes heuristiques.

La méthode des marque-pages

Dans un précédent article Comment travailler un livre avec des marques pages, je vous montre l’utilisation que vous pouvez faire des marque-pages pour travailler un livre, par thématiques. Mais, vous pouvez aussi les utiliser pour matérialiser les différentes parties et chapitres.

Un exemple : la Critique de la Raison Pure « balisée » grâce aux marques-page : Les deux marques-pages de couleur orange marquent les deux divisions principales de la Critique (Théorie transcendantale de la méthode / Théorie transcendantale des élements), puis les deux marque-pages de couleur violette marquent la division principale de la Théorie transcendantale des éléments (Esthétique transcendantale / Logique transcendantale), etc.

Kant_CRP_marques_pages

L’intérêt de cette « astuce » toute simple est double :
– vous permettre de vous interroger sur la structure du livre, à chaque fois que vous le prenez, pour le travailler, jusqu’à ce que vous l’ayez mémorisé. Vous pouvez ensuite mémoriser des divisions plus précises à l’intérieur de chaque partie.
– vous permettre d’aller rapidement à une partie que vous êtes en train de travailler. Par exemple, je travaille actuellement sur l’Analytique des Principes et je sais que cette partie commence au deuxième marque-page de couleur rose.

2) Comment apprendre les définitions ?

Je vous conseille d’apprendre les définitions, en les divisant par unités logiques.

Exemple : Supposons que vous vouliez apprendre la définition aristotélicienne de la prudence.

« La prudence est une disposition, accompagnée de règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour un être humain » (Aristote, Ethique à Nicomaque, VI,1140,b4-5)

(1) »La prudence est une disposition,
(2) accompagnée de règle vraie,
(3) capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais
(4) pour un être humain. »

Répétez plusieurs fois la première unité, puis enchaînez-là avec la deuxième. Répétez plusieurs fois ces deux unités, puis enchaînez-les avec la troisième (etc.). C’est le même procédé, si vous jouez d’un instrument de musique, pour apprendre un morceau.

3) Se remettre progressivement à apprendre par coeur

Mémoriser, répéter, s’interroger (mais aussi oublier et réapprendre ! ) sont des exercices qui s’apprennent. Si nous nous y prêtons assez volontiers, quand nous sommes à l’école primaire ou au collège (souvenez-vous des récitations que vous appreniez par coeur !), nous sommes beaucoup plus réticents à nous plier à ces exercices, une fois devenus adultes.

Pourtant, on peut dire que la mémoire est à l’esprit ce que la souplesse est au corps : nous en avons beaucoup, quand nous sommes enfants et nous la perdons peu à peu, faute de l’entretenir.

Recommencez alors à apprendre par coeur progressivement, en augmentant peu à peu le temps. L’idéal serait de pouvoir arriver à des plages de deux fois 15 minutes par jour, dans votre emploi du temps de travail ( voir un exemple d’emploi du temps, pour la préparation de l’Agrégation), dédiées à l’apprentissage par coeur et à la révision des connaissances.

4) A quelle fréquence ?

Le processus d’assimilation des connaissances est assez lent et demande de fréquentes répétitions. Pour vous faire une idée de leur fréquence, je vous invite à lire mon précédent article : Comment mémoriser efficacement.

5) Distinguez bien la phase d’apprentissage des phases de révisions

L’apprentissage par coeur consiste à répéter mentalement des connaissances, jusqu’à ce que vous soyez capable de les « réciter », sans hésiter. Cette phase d’apprentissage peut prendre 2 à 3 jours : il s’agit d' »ancrer » ces connaissances dans la mémoire.

Par contre, les phases de révisions consistent à réactualiser de temps en temps vos connaissances, afin qu’elles ne s’effacent pas de votre mémoire. Pensez à inclure ces phases de révision, dans votre emploi du temps, sinon, vos phases d’apprentissage ne serviront pratiquement à rien.

4. Quel matériel utiliser, pour vous aider à apprendre par coeur ?

Voici quelques moyens matériels que vous pouvez utiliser :

1) Ecrire directement les connaissances d’une page à assimiler sur le haut de la page d’un livre

Cette méthode a l’avantage de ne pas avoir besoin d’autre chose que du livre. De plus, elle vous permet de retrouver rapidement des idées, dans le livre, quand vous le feuilletez.

2) Faire des fiches bristol petit format

Les fiches petit format ont l’avantage de s’insérer dans le livre que vous travaillez. Vous pouvez ensuite stocker ces fiches, soit dans un classeur petit format, soit dans une petite boîte à chaussures !

Mon conseil : Faites deux colonnes : une étroite à gauche, pour poser des questions, pour vous interroger, et une plus large à droite, qui contiennent les réponses.

4) Faire des cartes heuristiques « papier » ou sur logiciel

L’avantage de la carte heuristique construite avec un logiciel est que vous pouvez cliquer sur les branches, pour développer ou réduire les arborescences et donc vous interroger par ce moyen : vous proposez mentalement une réponse et vous développez l’arborescence pour la vérifier.

5) Créer des fiches avec un logiciel comme « Anki »

Ce logiciel permet d’évaluer vos performances et de vous donner plus fréquemment à réviser les fiches que vous avez du mal à assimiler. L’utilité de ce procédé, pour les concours de philosophie, reste à tester ! (Ce test fera l’objet d’un prochain article.)

6) Combinez ces différentes méthodes

Ces méthodes sont complémentaires : il est donc judicieux de les combiner, pour travailler les connaissances d’un livre ou d’un cours, de différentes manières.

Conclusion

Apprendre par coeur peut vous sembler être une tâche rébarbative et constituer du temps de perdu, par rapport au temps de compréhension ou d’apprentissage. Cependant, cette tâche s’avère nécessaire : il s’agit d’ancrer dans votre esprit des connaissances solides, pour vous permettre ensuite, dans la phase de réflexion active, de produire des idées ou des connexions entre idées, en fonction du sujet de dissertation que vous aurez à traiter.

Ne sous-estimez pas donc pas l’importance du « par coeur », sans bien sûr, réduire votre préparation à cette composante !

Livres pour préparer les concours

Vous cherchez des ouvrages pour préparer au mieux vos concours ? Alors je vous recommande ma collection : « Entraînement à la dissertation philosophique pour les concours (CAPES, Agrégation, ENS) ». Le tome 1 vient de paraître :

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Cet ouvrage est le tome 1 d’une série consacrée à l’Entraînement à la dissertation philosophique pour les concours du CAPES et de l’Agrégation de Philosophie, ainsi que pour l’épreuve de la dissertation philosophique à l’entrée des Ecoles Normales Supérieures.

Dans ce tome 1, j’ai recensé un grand nombre de remarques, de critiques et de conseils que vous pouvez trouver, de manière dispersée, dans les différents rapports des jurys des concours, mentionnés ci-dessus. Je les ai classés, selon différentes thématiques : analyse du sujet, travail de définition, utilisation de références d’auteurs, d’exemples, problématisation, introduction, plan et conclusion.

Cette synthèse vous permettra de connaître exactement quelles sont les principales règles à respecter pour réussir une dissertation philosophique, dans les concours du supérieur. Les tomes suivants vous permettront de mettre en pratique ces règles et de travailler les difficultés propres à chaque thématique, à l’aide d’exercices et de programmes de lecture.

Pour une présentation générale de la collection, consultez mon article Publications pour préparer le CAPES et l’Agrégation de Philosophie.

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